Forum de RPG basé sur l'univers de l'Âge du Feu par E.E. Knight |
Bienvenue sur la Saison 2 de l'Âge de Feu ! |
| | Par diva et par barde [PV la Belle de nuit] | |
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Auteur | Message |
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Barde Seigneurial Messages : 874 Date d'inscription : 20/08/2012 Age : 28 Localisation : En train de composer, que diable !
| Sujet: Par diva et par barde [PV la Belle de nuit] Ven 26 Juin 2020 - 14:10 | |
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Par diva et par barde
Le ciel était d’un bleu de saphir. Les cormorans salvaient de cris au gré de la hargne sauvage qui les animait. Ils vaquaient dans le pur et discret mouvement du vent. Il s’agissait d’un jour d’été majestueux et implacable. L'ombre était une denrée rare sous laquelle se précipitaient le pas vif des enfants elfes, ainsi que celui, plus réfléchi, des passants. Silhouettes colorées, richement vêtues d'étoffes fines, allaient et venaient dans des quartiers infinis et variés. Le brouhaha, les odeurs d'épices et d'herbes aromatiques rappelait à Nirfäel les saveurs d’Hypath au sein de laquelle il avait jadis aimé déambuler.
Ces souvenirs avaient été pour lui comme plonger dans la lourde soie d’un vieux songe. En lui, avaient été tracées des figures d’or et d’argent, marquées par le fer flamboyant du soleil, et les allées parfaites des grands quartiers de feu la vieille Hypath. Son nonca à la main, le barde allait alors présenter le son encore jeune de son art aux amateurs du coin. Il avait instillé la magie à l’intérieur de sa musique, et avait recueilli leur joie jusqu’à ce qu’elles illuminent la sienne.
Encore aujourd’hui, les notes de son vieux compagnon lui manquaient. Elles étaient lustrées et éclatantes comme des gouttes de pluie.
A n’en point douter, Abyre était différente. Il fallait admettre que son architecture et la présence des navires-bâtiments dans les bas-quartiers lui donnaient un aspect inédit. Ces récifs faits de bois s’étalaient en un labyrinthe qui structurait la basse cité.
Si on pouvait appeler ce chaos une structure évidemment.
Et puis il y avait les habitants. Les elfes des mers étaient des êtres pragmatiques, qui faisaient passer la sauvegarde de leurs quais ainsi que de leur commerce avant tout le reste. Ils adoraient le conflit, étaient des marchands et des guerriers avant d’être des érudits. L’art, ainsi que tous ses adeptes, y était connu et apprécié, mais aussi convoitée pour ce qu’il éveillait auprès du peuple. Pour les elfes des mers, il s’agissait ni plus ni moins que d’une ressource de plus à exploite, comme toutes les autres. Une ressource dédiée à ceux qui seraient prêts à payer pour en voir ses richesses.
Le barde détestait cela. Ce n’était pas comme ça qu’il se voyait, ni comme ça qu’il désirait partager sa musique. Mais comment raisonner face à tant de mécanique et de réalisme ? Agiter la poussière de ses arguments lui semblait plus que vain, non qu’il avait crainte de leur fragilité ou de sa façon à les exprimer, mais plutôt par le ciment moral dont les elfes des mers s’étaient entourés, noué comme des pelotes de fils que sa verve n'aurait su délier.
Aujourd’hui comme hier, il ne se trouvait donc pas dans l’un de ses cabarets. Oh non ! Il s’agissait d’un lieu tout ce qu’il y avait de plus splendide pourtant. Plisser les yeux était nécessaire pour ne pas être ébloui par le soleil et ses reflets. La place de la Lance d’Argent regorgeait de monde : Des elfes des mers, leurs cousins de l’Ouest et des hommes. Ils passaient parmi les innombrables étals. Les vendeurs s’égosillaient, les acheteurs criaient plus fort encore. Des marmots, perdus dans la foule, hurlaient ou pleurnichaient. Le bétail mugissaient, les brebis bêlaient, la volaille caquetait. Des nains maçons s’activaient sur leur ferraille, et, sitôt qu’ils s’interrompaient, juraient comme des charretiers. Des dragons, terribles sentinelles au service de la garde abyréenne, grondaient en survolant les bâtiments. De plusieurs points de la place, des lyres et des cymbales cancanaient leurs airs jusque dans les grandes allées, les passerelles et les ponts séparant la cité. Et comme si le vacarme n’était pas déjà assourdissant, un nain soufflait dans un cornet.
Manifestement, il n’était pas musicien.
Le barde fit un bond pour éviter un groupe de garde qui passait en file indienne, leurs armures rutilant dans le jour. Son luth heurta un cheval qui, à son tour, le bouscula. Nirfäel piétina quelque chose, une botte sans doute. Il entendit un cri, fit une moue surprise et il s’en fallut d’un cheveu pour qu’il tombe.
-Oh diable ! Ce n’est pas comme ça que je vais décrocher la timbale…
Au bout de quelques minutes, le barde trouva néanmoins un coin tranquille loin de la grande affluence. Il posa par terre son couvre-chef et s’adossa à la rambarde en caressant sa petite barbiche tout de blanc vêtue. Il prit le luth qu’il avait amené avec lui et se retroussa les manches. Il se mit à jouer, lentement d’abord, puis avec plus d’entrain, des notes discrètes qui s’évanouissaient dans le vacarme ambiant. Non loin, une odeur appétissante de pain au lait cuit suintait dans l’air. Au milieu de la place, l’eau de la fontaine roucoulait un air musical.
Nirfäel sourit. Il avait du lyrisme à revendre. Son lyrisme. Dommage que l’affaire qui l’amenait ne soit pas propice à un petit spectacle. Il était sûr que les gens auraient adorés.
On le tira alors par la manche. Le demi-elfe détourna le regard d’un couple qui se chamaillait et se retrouva nez à nez avec un enfant en haillon. Il déglutit lentement. Parmi les réfugiés du vieux continent, beaucoup n’avait pas réussi à trouver fortune, voire ne s’était jamais élevé au-delà de leur situation précaire. Les elfes d’Hypath avaient été les plus chanceux, et certains humains avaient réussi à jouer de réussite pour se forger une place dans la vaste cité d’Abyre. Mais les autres avaient chuté sans pitié dans le repaire lugubre de la pauvreté. Il en allait de pire pour toutes les autres races. Ainsi Nirfäel ne fut pas étonné que le marmot soit maigre comme un clou.
Car il s’agissait d’un enfant garne.
Ce dernier l’incita à le suivre. Le dandinement étrange de ses jambes sur le dallage de la place attira les regards des passants, tantôt moqueur, tantôt marqué par le dégoût. Le demi-elfe prit son couvre-chef et se mit en marche. Il se maudit de ne pas avoir pris sa gourde avec lui. Quelle chaleur accablante ! Un individu, grimpé sur des tonneaux qui lui servaient de tribune improvisée, admonestait les passants de grands sermons :
-Il n’existe qu’un droit unique sur terre ! braillait-il. C’est celui de la science ! De la grande Hypothèse, soumise à des règles et à la logique. La nature entière est soumise à ce droit, toute la terre, et tout ce qui vit sur terre. C’est notre façon de la contrôler. La magie est ainsi hors de ce droit et les sorciers et les elfes sont donc maudits !
-Etonnant tiens, qu’on permette à un tel réceptacle d’obscures idées de voir le jour par ici, marmonna Nirfäel. J’aurais dû me douter pourtant à sa tête. Ce monsieur a des lunettes, l’as-tu vu ?
L’enfant garne ne répondit pas. Ses yeux sauvages à la pupille verticale furetaient d’un vêtement à l’autre, comme s’il s’attendait à trouver une lame dirigée droit vers lui. On les bouscula et le garne eut un grognement de félin. Le barde écarquilla les yeux. Ils profitèrent de l’attroupement autour de la tribune pour s’éclipser en douce, sans attirer l’attention cette fois. Ils empruntèrent une passerelle qui menait vers un quartier de la cité basse. Les murs blancs des palais brillaient lorsqu’ils levaient la tête. Ils traversèrent les quais et passèrent entre deux navires-bâtiments. Ceux-ci étaient creusaient à dessein avec de larges pontons sur la coque. Incrusté chaotiquement à même la roche, ils soutenaient l’armature noire d’une grande taverne. Là le jeune garne s’arrêta. Ses crocs sombres dessinèrent une drôle de mimique sur son visage. Il tendit alors un parchemin au barde :
-Mmh… toute cette course pour me donner ça ? Je croyais que mon contact devait arriver en caro…
Il cessa de parler. Il venait de poser les yeux sur les quelques lignes inscrites en encre rouge sur le papier jauni :
« Notre couverture a été repérée. Corryn est mort. Plan a capoté. Faucon doit fuir de sa cachette. Pas être attrapé par la garde »
L’encre avait une odeur métallique. Le demi-elfe déglutit. C’était écrit avec du sang :
– Mais… (Sa voix s’altéra) Mais comment… comment suis-je censé quitter la ville ?
Mais l’enfant garne avait disparu. Evaporé aussi sûrement que de l’eau sur le feu, sans un bruit, hélas aussi sans un mot. Ce manque de manière aurait pu l’irriter s’il ne savait que sa vie était désormais en danger. Le demi-elfe comprit que c’était à lui de se débrouiller. Son séjour tournerait court finalement. S’il ne voulait pas se retrouver sur un gibet, il fallait mettre les voiles avant que la garde d’Abyre ne le retrouve.
Le barde sortit de la pénombre des navires-bâtiments. La lumière du midi lui parut plus assassine encore que sur la place. Il avança à tâtons sur les quais, s’attendant à trouver une patrouille venue pour lui. Les badauds du coin ne lui inspiraient rien. Des hommes ou des garnes esclaves à la mine patibulaire qui lui jetaient des regards noirs ; Même Abyre avait son hameau de détresse. A l’évidence, toutes les villes devaient passer par ce quartier traditionnel. Nirfäel se précipita dans les ruelles, jouant des coudes, la peur au ventre. Il cherchait un navire encore à quai qui pourrait l’accueillir à son bord. Soudain, ce fut la bousculade de trop. Il vira sur le côté, trébucha et faillit plonger dans l’eau, mais une main le retint fermement au col de sa tunique noire. Nirfäel se releva avec peine. Il ouvrit la bouche. Puis la referma de surprise :
-Vous ? Ici ?
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| | | Ambassadrice de l'Amour Messages : 1047 Date d'inscription : 07/01/2018 Age : 23 Localisation : Abyre
| Sujet: Re: Par diva et par barde [PV la Belle de nuit] Mar 30 Juin 2020 - 9:37 | |
| La place de la fontaine était une des six ou dix places d’Abyre qui portaient ce même surnom. C’était un endroit bien sympathique où, durant les périodes les plus torrides de la saison sèche, les petites gens de 7 à 217 ans se retrouvaient pour s’y rafraîchir. Les enfants devenus Capitaines y faisaient caboter leurs vaisseaux miniatures, faisant de ces humbles bassins le théâtre d’épiques batailles navales, et les vieux, quant à eux, y jetaient des pièces en pensant “à la bonne fortune !” mais cette bonne fortune, cette bonne vieille fortune qui, il faut l’admettre, possède un sens aigu de l’ironie, souriait plutôt aux va-nus-pieds déguenillés qui passaient derrière eux. Des fontaines comme celle-ci, il en existait toute une panoplie. Abyre comptait en son sein plusieurs dizaines de sources d’eau sauvages ou aménagées, grandes ou modestes, publiques ou secrètes, profanes ou sacrées… Chacune possédait ses petits secrets, ses codes et ses messages, et pour les plus anciennes, ses légendes. Elles s'épanouissaient dans l’architecture urbaine comme des bourgeons de zèle, rappelant à qui les admirait quel avait toujours été et quel serait toujours le peuple maître de la cité. Ce n’était pourtant pas un élan de fierté patriotique ou une passion soudaine pour l’ornementation sculpturale qui avait conduit Thymar à surveiller la place de la fontaine en cette après-midi un peu trop ensoleillée de juillet. Deux jours plus tôt, la garde avait reçu l’ordre de renforcer sa vigilance en ville. L’elfe avait à peine sourcillé. Ce n’était pas la première fois qu’ils recevaient ce genre de rappel. Mais ce faisant, le parcours et la durée de ses rondes routinières avaient été modifiés et allongés. Il se tenait donc là, debout les bras croisés, le visage et le crâne brûlés par un soleil despotique, promenant ses yeux et ses oreilles sur la populace en quête de délits à empêcher. L’attention des passants était toute tournée vers un bonhomme au front dégarni que ses idées rendaient un peu fébrile, une dilettante anonyme qu’un peu de talent oratoire suffisait apparemment à lui donner la conviction d’être sophiste.
« Garde ! l'apostropha une citoyenne. Vous ne faites rien ? Cet ingrat est en train d’insulter le peuple et la ville qui l’accueille ! – Mh, ne vous inquiétez pas. La patrouille sera là d’ici deux minutes et vous verrez qu’au son de leurs bottes, notre philosophe aura tôt fait d’écourter ses discours pour enfiler la venelle. Sauf qu’il ne pourra pas. »
Attentif aux mouvements de foule, l’oeil de Thymar s’attarda sur la silhouette décharnée d’un enfant dont le haillon échancré laissait émerger une nuque et une paire de bras gris. C’était sans nul doute un garne. Par réflexe, le garde fixa son attention sur lui et s’avança pour le garder en vue. Comme la plupart de ses semblables, il éprouvait un scepticisme à l’égard de ces individus qui était devenue habituel. Thymar soupesa le degré de malveillance qui investissait le petit clochard. Le regard analytique qu’il promenait sur les poches et les mains des passants acheva de chatouiller méfiance. Il allait le suivre, mais la masse populaire finit par obstruer son champs de vision et il le perdit de vue un court instant. Le garde s’écarta de la foule et s’aperçut alors que le garne était sorti et qu’il marchait à pas pressé. À ce moment là, l’évidence lui intima qu’il n’avançait pas seul et que son accompagnateur n’était pas un de ses semblables. Titillé sur son nerf d’enquêteur, le garde décida de les prendre en filature. Tant pis pour le colporteur fiévreux, il y avait là des gens douteux qui s’enfonçaient dans des quartiers tout aussi douteux et son instinct lui dictait de les suivre.
Le faire sans éveiller de soupçon ne fut pas tâche facile : dans cette partie de la ville, il n’existait plus aucune ligne droite. Les rues étaient beaucoup plus étroites, très peu fréquentées et toutes ne portaient même pas de nom, ce qui compliquait grandement l’orientation. L’elfe dût s’arrêter à chaque tournant pour les épier et ainsi connaître la prochaine direction qu’il devrait prendre : il leur laissait alors deux ruelles d’avance sur lui, de sorte qu’ils se trouvent toujours séparés par un bâtiment. Ce petit manège dura jusqu’à ce que les complices entrent dans une structure typique du quartier : un bâtiment construit à partir de la coque entière d’un navire inusité. D’après les bruits d’entrechocs, l’odeur de boissons frelatées et le brouhaha convivial qui en émanait, Thymar supposa qu’il s’agissait d’une taverne. Un rapide coup d’oeil vers l’entrée lui permit d’identifier une pancarte délavée qui validait son hypothèse. Par prudence, le garde choisit de ne pas entrer et d’attendre à l’extérieur. Il n’eut pas à patienter bien longtemps. Si l’enfant ne ressortit pas, l’individu qui l’accompagnait émergea hors de la taverne presque aussitôt qu’il y était entrée et poursuivit dans la direction opposée. À mesure qu’il évoluait, son pas se faisait plus nerveux. Deux minutes plus tard, le drôle était parti au trot. Ni une, ni deux, Thymar s’élança à sa poursuite. “Il a dû me repérer.” Fort heureusement pour lui, sa cible était chargée d’un luth et devait maintenir son chapeau pour qu’il ne s’envole pas, ce qui ralentissait doublement sa course. Il l’avait presque rattrapée quand, à force de slalomer entre les promeneurs et les curieux, cette dernière fut victime de sa propre maladresse et dérapa. Rapide telle la vipère, Thymar tendit son bras musclé et referma le poing sur le vêtement du bonhomme comme l’aigle resserre fatalement ses serres autour de sa proie. L’autre eut à peine le temps d’échapper un hoquet qu’il le ramenait d’une seule main tout droit dans ses deux godillots. Lorsque le fugitif leva vers lui ses yeux clairs et brillants, le garde demeura stupéfait.
« Vous ? Ici ?
Car la personne qui se tenait devant lui n’était autre que Nirfäel, le barde adoré de la meilleure moitié des auditoires et d’un peu plus. Ils avaient en commun une amie qui les avait présentés lors du dernier Gra’R’No. La première réflexion qu’il s’était faite en le rencontrant était que ce Nirfäel avait une tête de cabotin et de lâche et que s’il était animal, il serait probablement un coq ou un petit chien. Il avait alors serré sa main avec autant d’hypocrisie qu’un parfum à l’extrait de rose. S’ils se connaissaient de vue, Thymar en savait cependant plus sur le demi-elfe que l’inverse, car cette amie qu’ils avaient en commun lui avait longuement parlé de cet homme-là, et ce à quelques reprises. Si elle en avait essentiellement dit du bien, c’était avec une nette amertume qu’elle l’avait évoqué très récemment. Et l’elfe des mers en comprenait et en approuvait tout à fait les raisons.
– Vous ici, plutôt.
Il s’aperçut qu’il le tenait encore d’une main ferme par le col. Mais au lieu de lâcher, il resserra son étau. Il se rappelait les mots de son amie.
– Vous allez me suivre. Il y a quelqu’un à qui vous devez des explications. »
* * *
« Le truc avec le saucisson, c’est que c’est comme l’âme soeur : il faut trouver le sien, celui qui nous convient, celui qui est fait pour nous, qui dès la première bouchée frappe notre palais dans son intimité et nous donne envie de le mordre sitôt qu’on le voit déballé. Exactement comme les fesses d'un amant, déclama la bibliothécaire entre deux coups de battoir. La demi-elfe sourit en découvrant toutes les dents. – Hou, vous êtes si solennelle ! – On a reçu une pile de recueils de poésie toutes signés de la main d’un certain Gastronome du Dictionnaire et de la Sémantique. En feuilletant, je suis tombée sur ce poème, c’était un sonnet, intitulé : “De l’Amour des Chairs”. Avec un titre aussi assumé, vous vous doutez bien que j’ai lu ! Eh bien, figurez-vous qu’en réalité, ça parlait de viande. Mais avec une grande sensualité. J’ignore si c’était bien sérieux, en tout cas une chose est sûre : c’était très drôle ! Erilys hocha ostensiblement la tête. – L’auteur doit être un excellent cuisinier. Bien ! Je vais rentrer. À plus tard ! – Et n’oubliez pas : le saucisson… »
Il fallait bien rire un peu pour alléger le dur travail du lavoir. C’était aussi un moyen d’alléger les coeurs lourds. Erilys avait beau savoir que ce n’était une question de temps, la perte de Danalhéa restait encore difficile à digérer. Cela ne faisait que quelques semaines.
En chemin vers sa maison, la demi-elfe songea qu’il était temps de déposer un nouveau bouquet sur la tombe de l’humaine. L’ancien avait déjà dû sécher. Elle chevaucherait Astrabacos et irait par les sentiers verdoyants qu’elle avait autrefois arpenté en compagnie de sa noble amie. Un jour, elle prendrait le temps d’y faire pousser quelque chose de plus résistant. Comme Dana. Peut-être de la bruyère.
Le soleil du début d’après-midi dardait des rayons à en crever les yeux. Erilys sentait ses joues s’écorcher sur sa lumière. Le bandeau noir qu’elle portait à la tête faisait maigrement son office de couvre-chef. Elle aurait bien mis sa main en visière, mais le bac de linge qu’elle portait était si lourd qu’elle se trouvait forcée de le tenir à deux bras. Elle se contentait donc de baisser obstinément la tête, mais là encore le pavé blanc n’y changeait rien. Arrivée à quelques mètres de son palier, au terme d’un rude effort, la demi-elfe leva les yeux vers sa porte d’entrée et s’immobilisa. Comme elle était complètement éblouie, elle put tout juste distinguer les deux silhouettes qui se tenaient debout sous le porche. L’une d’elle était fort masculine et elle devina aisément la sculpture de son ami garde.
« Thymar ?
Les deux individus pivotèrent en sa direction. Ce n’était pas l’apparition la plus plus gracieuse qu’elle pouvait leur faire dans ce tablier usé et mouillé et cette expression grimaçante obligée par l’excès de lumière. Aussi s’avança-t-elle à l’ombre pour ouvrir les yeux et ainsi mieux les voir. Et elle resta muette.
– Je l’ai trouvé dans la cité basse. Je suis étonné de constater que ne saviez rien de sa présence à Abyre.
Erilys posa son fardeau au sol, puis elle leva vers Nirfäel des yeux indéchiffrables. Elle le fixa un moment. Assez longtemps pour le mettre mal à l’aise.
– J’ai du linge à étendre. »
Ceci dit, elle déverrouilla la porte et entra en la laissant ouverte à leur attention. Thymar croisa regard du barde et jubila en lui flattant l’épaule avec force. Sacrée bonne fortune, n’est-ce pas ?
Dernière édition par Erilys le Lun 31 Aoû 2020 - 8:38, édité 1 fois |
| | | Barde Seigneurial Messages : 874 Date d'inscription : 20/08/2012 Age : 28 Localisation : En train de composer, que diable !
| Sujet: Re: Par diva et par barde [PV la Belle de nuit] Dim 19 Juil 2020 - 14:55 | |
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-Monsieur Nirfäel, pressez ! (Il le tenait d’une main ferme et s’empressait d’arrondir les coins de rue) Je ne vous imaginais pas si cru du pied. On a l’impression que vous traînez d’énormes savates avec vous.
Le barde ne répondait pas. Il ajustait le ceinturon qui retenait son pantalon. Il l’aurait souhaité en tout cas. Dirigé par Thymar, qui l’avait reconnu il ne savait comment sans son manteau, Nirfäel courait allègrement et à grande peine à travers les quartiers de la cité basse. Un rassemblement s’était orchestré sur la place de la lance d’argent. Un pilori en métal avait été posé sur une petite estrade. L’agitateur qui haranguait la foule il y a encore quelques minutes s’y trouvaient. Ils haranguaient toujours, mais de détresse cette fois. Les gardes abyréens l’avaient saisi et laissé seul avec la foule. Un sorcier se trouvait là également. Il incantait, remuait les mains, et des serpents lumineux se mirent à fouetter le dos de l’homme :
-Criminel, scélérat, gens indignes ! disait-il. Observez bien ceci. Regardez bien la peine qu’encourent dans la cité d’Abyre les menteurs et les diseurs de sermons. Regardez comme la science bat de l’aile. Comme elle s’écrase face à la puissance des abyssaux. Observez attentivement et n’oubliez jamais. Une fois ceci fait, vous irez raconter aux autres ce dont vous avez été témoins ici.
Manifestement, les elfes des mers s’étaient soudainement bombardés rebelles de la pensée libre. Ca lui glaça le sang. Il avait deux, trois petites choses à se reprocher…
Thymar et lui poursuivirent leur route avec le même empressement Ceux qui les avisaient tiraient des mines largement moins ahuries que lui. C’est-à-dire qu’il ne s’attendait pas à cette rencontre. Il n’avait rencontré Thymar qu’une seule fois au Gra’R’No et… et c’était à peu près tout. Un vieil ami de Dame Erilys, il lui semblait. Mais il ne lui avait pas laissé un souvenir trépidant. Les gardes étaient des gens ennuyeux. Ils passaient le plus clair de leur temps à surveiller une ville et à faire respecter l’ordre. Et leur tâche se résumait peu ou proue à rattraper un vieillard volant des pommes sur les étables, calmer des jeunes mercenaires un peu trop audacieux et porter les cadavres des agressions à la morgue. Pouvait-on trouver emploi plus lassant que cela ? Le barde avait donc oublié le bonhomme. Lui non manifestement. Il l’avait reconnu et leurs retrouvailles étaient très surprenantes. Le fait que ça se passe sur des quais hostiles en était la première raison. Que faisait-il donc là, dans un tel endroit. Y avait-il des opérations dont on taisait le nom auquel Thymar participait ? C’était louche.
Ca l’était toujours moins que la vue d’un homme en armure et d’un demi-elfe qui se faisait tirer comme un âne malade.
Au bout d’un temps relativement court, ils se retrouvèrent dans une petite ruelle de l’allée des grèbes. On entendait bon nombres de cris et de bruits désagréables, mais les grèbes n’en étaient pas la cause. Ils appartenaient à des nourrissons qui tétaient le sein de leur mère et leurs cris résonnaient au travers des fenêtres grandes ouvertes. L’allée était étroite, le climat lourd et chaud faisait battre le cœur dans les tempes, et la taille non-négligeable des bâtiments donna le tournis au barde. Il eut du mal à ne pas fermer les yeux. Les familles se recroquevillaient dans l’embrasure des portes. Elles étaient des dizaines ici. C’était pour la plupart des humains, ces victimes de la fuite, de ceux qui n’avaient pas réussi à se trouver une place dans ce nouveau monde et qui essayaient de s’en creuser une dans la plante du pied de la citadelle. Lorsqu’ils sortirent de l’allée, Nirfäel vit que le reste du quartier n’était pas bien resplendissant non plus. Dans quel endroit de malheur Thymar l’emmenait-il ? Il repensa à ce qu’il lui avait dit juste avant de l’arracher du sol : « – Vous allez me suivre. Il y a quelqu’un à qui vous devez des explications. »
Quelqu’un ? Se pourrait-il ? Non….
-Non… Thymar, je…
-Thymar ?
Le demi-elfe cessa toute protestation. Il déglutit péniblement en reconnaissant la voix, ainsi que la silhouette qui la précédait. Il l’avait déjà entendu. Tant de fois. A Skerlida, dans une taverne. A Gullvirki, dans un amphithéâtre. Sur la place du Dragon Farçeur, lors du Gra’R’No. Et ici, désormais, dans cette ruelle où le soleil crachait une chaleur démoniaque. Celle qui venait de s’adresser à eux était une demi-elfe grande et fine, aux yeux gris nacré doux et bienveillants, et à la chevelure châtain qui lui descendait jusqu’aux épaules.
Elle était la même que dans ses souvenirs. Son regard était toujours doux et bienveillants. Mais lorsqu’il se posa sur lui, son expression changea du tout au tout. Le barde faillit reculer de peine. C’est qu’il s’était soudain fait très lourd ce regard.
- J’ai du linge à étendre. »
Mordicus. Le ton était éloquent et invoquait le silence. Nirfäel le respecta, se dandinait d’une jambe sur l’autre. Alors qu’elle s’éloignait de l’entrée, Thymar jubilait derrière lui. Le barde le foudroya sur place mais cela ne parut pas l’empêcher de continuer son petit spectacle. Drôle de gens que ceux qui consacrent tant d’effort à leurs petites mesquineries pour ennuyer autrui :
-Sacrée bonne fortune, n’est-ce pas ? lui lança-t-il
-Monsieur Thymar, vous êtes un foutriquet ! Et encore, je suis aimable et bienveillant ! Vous allez foutre le camp ! Je ne peux plus supporter votre trombine plus longtemps !
-Il ne faut pas se fier à l’apparence physique, cher barde.
–Bien sûr que si, et vous en êtes l’exemple parfait ! Vous avez la tête d’une chèvre, le ton d’un coq et l’intellect d’un mouton, vous faites une belle cour de ferme… !
L’ombre du barde s’empara de l’embrasure de la porte, sous les invectives de Thymar. Ce dernier resta néanmoins à l’extérieur. Voilà déjà quelques progrès. Peut-être que Nirfäel arrivait finalement à se faire entendre désormais. Mais en remarquant l’air revêche d’Erilys, il comprit qu’il se faisait de belles illusions. Ils arrivèrent dans un salon où des chaises branlantes se dressaient au milieu d’une table en bois de chêne. Le barde resta à bonne distance. Il mourrait d’envie de s’assoir. Il avait couru sur plusieurs centaines de mètres, dans d’innombrables ruelles, entraînées par un malandrin. Il se savait pourchasser car ses plans et petits complots avaient été découvert et plusieurs de ses compatriotes croupissaient dans des geôles ou se faisaient arracher les doigts par des tortionnaires à l’instant même. Pourtant, la froideur du ton d’Erilys, sa « Elelna Hëlle », son étoile qui danse dans le ciel, miroitait encore dans l’air, l’amenant à reconsidérer ses droits et possibilités dans une maison qui n’était pas la sienne. Il déclara sobrement :
-Erilys.
Elle l’ignora. Enfin, il le pensa. Elle lui tournait le dos, tandis qu’elle étendait son linge dans la petite terrasse. Mais il savait qu’elle l’avait entendu :
-Tu n’as pas changé, Elelna Hëlle. Je... je suis désolé. J’aurais dû t’écrire et te répondre. J’aurais dû venir passer. Le temps m’a manqué.
Une mouche voletait autour de son oreille en faisant un bruit agaçant. Il la chassa en la maudissant intérieurement :
-Enfin, ta vue me ravit. En d’autres termes, je suis content de te revoir.
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| | | Ambassadrice de l'Amour Messages : 1047 Date d'inscription : 07/01/2018 Age : 23 Localisation : Abyre
| Sujet: Re: Par diva et par barde [PV la Belle de nuit] Mer 29 Juil 2020 - 14:48 | |
| Une porte ouverte fut la seule marque de bienvenue qu’il reçut de sa part. La demi-elfe ne l’invita pas à prendre ses aises ni ne lui offrit rien. Elle se contenta de traverser la salle à pas vifs pour rejoindre l’arrière-cour, ignorant superbement l’invité surprise qui flageolait sur ses deux jambes au milieu de sa pièce de vie. Après tout, ne lui avait-il pas déjà exprimé combien il adorait cette sensation du Debout ?
Le silence est un bavard qu’on entend pas et Nirfäel, bousculé par le malaise où par ce qui lui restait d’honnêteté, finit par prendre la parole :
« Erilys. Même de dos, son aigreur irradiait. – Tu n’as pas changé, Elelna Hëlle. Je... je suis désolé. J’aurais dû t’écrire et te répondre. J’aurais dû venir passer. Le temps m’a manqué. Enfin, ta vue me ravit. En d’autres termes, je suis content de te revoir. »
La demi-elfe ne desserra pas les lèvres. Dans l’instant, sa rancoeur fut d’une telle violence qu'elle lui cousit tout simplement la bouche. Ses lettres lui étaient donc bien parvenues. Au tout début la demi-elfe avait pensé que celles-ci n’arrivaient tout simplement pas à leur destinataire, mais après auscultation des paroles du barde, Erilys constatait avec peine que s’il n’avait pas levé le doigt ne serait-ce que pour lui adresser un mot gentil en ces temps difficiles, c’était tout simplement parce qu’il n’avait pas jugé impératif de le faire.
La demi-elfe prit de longues minutes pour terminer son office, hissée sur ses deux pieds. De longues minutes où il ne se passa rien d’autre que le quotidien modeste d’une journée d’été, ponctué de bruissements de toute nature, de cris de mouettes et de chants d’oiseaux, de cloches sourdes et de voix lointaines. Les tissus humides ondulaient sous les courants d’air et faisaient serpenter dans la maison un parfum léger de fleur fraîche. Elle essuya ses mains sur son tablier et resta un moment sous le soleil, statique, à fixer les ballottements du linge blanc. L’idée de retourner à l’intérieur et de se retrouver face à Nirfäel la repoussait. Quelques jours plutôt, elle l’aurait volontiers sermonné pour la négligence dont il avait fait preuve à son égard, mais maintenant que l’heure arrivait, elle se sentait seulement exténuée et démunie. Tout avait été consumé par la déception, et seul le sentiment restait, inexplicable. Voyant bien que ses culottes ne lui seraient d’aucun conseil avisé sur ce qu’il fallait ou même ce qu’elle voulait dire, la demi-elfe se résolut enfin à quitter la terrasse. Elle dénoua son tablier usé et le suspendit au dossier d’une chaise puis, gênée par la transpiration, se débarrassa également de son bandeau. Elle défit la boucle qui retenait ses cheveux avant de les tresser avec agilité, ce qui constituait un moyen efficace de reculer d’encore un instant l’échange imminent auquel ni elle ni Nirfäel n’avaient vraiment envie de participer à ce moment précis.
Cela faisait donc environ dix bonnes, dix terribles minutes qu’Erilys le laissait apprécier son sentiment du Debout dans un silence au goût acide. Estimant qu’il s’était écoulé suffisamment de temps pour que sa propre culpabilité ait fini par dissoudre en lui toute volonté de se trouver des justifications puériles et ait ainsi laissé son honnêteté à nue, la demi-elfe daigna enfin poser les yeux sur le barde. Lui non plus, n’avait pas changé, si ce n’est peut-être qu’elle le trouvait maigri. Elle s’aperçut alors que ses genoux tremblaient, et il lui vint tout naturellement de lui déranger une chaise et de lui servir un peu d’eau fraîche.
« Le temps vous a manqué, soupesa-t-elle lentement en versant le contenu d’une cruche en céramique dans un gobelet neuf. Elle secoua la tête. Comment voulez-vous... que je me contente d’une excuse aussi maigre ? Elle posa tranquillement le gobelet sous son nez en ignorant ses politesses, puis elle gagna l’autre côté de la table où elle s’assit en impératrice. Elle évalua son visage et cligna des yeux. – En fait, je ne vous comprends pas. Vous m’appelez votre “étoile qui danse dans le ciel” et vous me dites que vous n’avez pas une heure de votre plume à consacrer à ma personne. Vous me saluez toujours avec une amitié que je crois sincère, mais vous disparaissez aussitôt sans prendre le temps ne serait-ce que de me dire au revoir... Et vous me dites attendre nos retrouvailles avec impatience quand, de toute évidence, vos visites à Abyre ne me concernent pas même de loin. Est-ce là une façon d’entretenir ses amis, selon vous ? Non ? Alors que suis-je censée comprendre, si ce n’est que vous vous moquez de moi ? La porte d’entrée claqua sous l’effet d’un courant d’air. Erilys roula des yeux noirs en sa direction avant de les replanter vivement dans ceux de Nirfäel, sans bouger d’un pouce. Elle prit une profonde inspiration et se pencha pour s’accouder au plan de la table. La chevalière d’or de Danalhéa pendeloqua sous ses clavicules. – Je suppose que c’était présomptueux de ma part d’attendre en retour la même amitié que celle que j’ai conçue pour vous. Enfin de compte, nous nous connaissons à peine et vous n’avez pas de raison de vous soucier des personnes simples comme moi. Vous êtes barde après tout ! Vous courez après les gens atypiques, les sorciers et les créatures de contes. Moi, mon seul pouvoir magique est d’avoir le cœur suffisamment grand pour y accueillir un large nombre de personnes et pour y cultiver beaucoup d’amour – au sens large du terme, j’entends. Ce sont les gens négligents et lâches comme vous l’avez été qui me font croire que c’est un défaut. Alors quoi que cela signifie pour vous ; je suis profondément déçue, Nirfäel. Déçue et blessée. Vous êtes une plaie. Le silence s’installa un court instant. Ce n’était plus qu’elle était en colère, non : elle flottait dans un nuage d’incompréhension et de frustration. – Parfois, je me demande si vous n’êtes pas rien d’autre qu’une espèce de crapule, un menteur habile, un hypocrite et un couard. toc toc toc. La porte s’entrebailla et la tête de Thymar émergea dans l’encadrure.
– Hola, mes colombes ! – Oh, Thymar. Mais je t’en prie, fais comme chez toi. – Je suis vraiment désolé de vous interrompre, mais maintenant c’est à mon tour de faire un tête à tête avec l’ami Nirfäel. – Comment ? – Je te l’ai dit. Je l’ai trouvé en train de rôder dans la cité basse. – Tu n’as pas spécifié qu’il rôdait. – Navré. Je ne l’ai pas attrapé seulement pour te l’amener. Je l’ai attrapé parce qu’il avait un comportement suspect et que c’est mon travail de surveiller ce genre d’individu de près. En temps normal j’aurais fait l’impasse, mais j’ai reçu des ordres un peu serrés. Il ne faut pas s’inquiéter, il ne s’agit que de quelques questions... banales… des formalités… Rien de bien méchant. Et puis notre Nirfäel est un gentil bonhomme, n’est-ce pas ? dit-il en se gardant bien faire entendre le cynisme dans sa voix. Je suis sûr qu’il a d’excellentes explications à fournir pour sa défense. Erilys haussa les sourcils et reporta son attention sur Nirfäel. Elle secoua imperceptiblement la tête en observant son attitude. – Il a naturellement l’air suspect et il se défend pour ainsi dire assez mal. Est-ce bien nécessaire ? – Je vous donnerai bien le détail des ordres que j’ai reçus, mais l’ennui, c’est que je n’en ai pas le droit. Autrement dit : oui, j’en ai bien peur. La demi-elfe soupira. – Nous n’en avons pas encore terminé, Nirfäel. Mais le reste viendra en temps voulu. (Elle baissa les yeux et s’apprêta à se lever.) Il est à toi… Faites comme si je n’étais pas là. »
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| | | Barde Seigneurial Messages : 874 Date d'inscription : 20/08/2012 Age : 28 Localisation : En train de composer, que diable !
| Sujet: Re: Par diva et par barde [PV la Belle de nuit] Dim 2 Aoû 2020 - 13:46 | |
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Le barde écoutait en silence. On aurait pu dire qu’il respectait jusqu’au bout celui qu’on lui avait offert à l’entrée. Question d’échanges et d’intérêts. Elle avait saisi ses mots à la volée pour lui répondre, et cela aurait été indigne de lui voler les minutes passées à travailler sa tirade. Quoique l’on puisse en dire, les relations et le contact, ça le connaissait. C’était le fait de sa qualité de barde, autant que son esprit qu’il savait vif et plein d’intelligence. Il trouvait les mots, et bien souvent les oreilles à qui ils s’adressaient se tendaient dans sa direction. Il réussissait souvent à se frayer un chemin vers la sympathie des gens. Oh pas toujours, évidemment. Certains formaient un bouclier très opaque qu’ils érigeaient autour d’eux, drapé dans de la bêtise, de la cruauté ou toute autre forme de vices. A ceux-là de toute façon, Nirfäel ne s’y intéressait que peu. Tant de choses le fascinait déjà qu’il pouvait bien refuser de s’attarder sur quelques personnes trop éloignées de son alchimie.
La porte d’entrée claqua au gré du vent. Erilys la poignarda de son regard acerbe. Qu’elle est belle quand elle se met en colère, songea-t-il soudainement. Il y avait d’abord ce port altier typiquement majestueux, nappé d’adorable, qui dénotait de sa grande fierté. Ses yeux hameçonnaient ensuite l’attention, joyaux lumineux et scintillants tels le reflet des étoiles sur la surface ondulée d’un lac, dans lequel on aimerait se plonger tout entier. En relevant à peine nos propres mires, on se retrouvait déjà nez-à-nez avec ses sourcils traçant des éclairs. Et si l’on était patient, on pouvait même apercevoir le frétillement irrépressible de ses oreilles pointues.
Incroyable comme il faisait chaud dans cette maison. Le soleil devait frapper avec un marteau en fusion à l’extérieur.
Le barde écoutait en silence, avec attention même. Il réprima un sourire sincère, laissant le pétillement dans ses yeux se prolonger quelques minutes. Dame Erilys ne masquait nullement sa colère. Elle le traitait de tous les noms, maudissait jusqu’à ses goûts sociaux et lui faisait milles autres reproches. Il en fut heureux et même rassuré. Elle ne lui en voulait donc pas tant que ça. Cela aurait pu être pire, bien pire. Elle aurait pu se murer dans le silence froid de sa rancœur. Nirfäel pouvait accueillir les épithètes et les injures en quelque forme qu’Erilys le souhaitait. Mais le silence… ce silence l’aurait brisé à tout jamais.
Néanmoins, il eut à cœur de trouver quelques réponses à apporter à sa douleur. Il se leva, la mine basse, de celle des chiens battus, en levant les bras en signe de paix. Et il déclara dans le calme :
-Je le reconnais, j’ai mal agi. Naturellement pas en âme et conscience, mais tu sais, les temps sont durs pour nous autres, artistes de grands chemins. La pauvreté s’amène avec parfois son cheval de misère qui tire une charrette de faute. Je comprends que tu sois déçue et blessée. J’ai été impardonnable à enterrer nos échanges de façon si abrupte, quand bien même je ne le souhaitais point. Mais je t’en prie, ne confond pas cela avec de la lâcheté. Ce n’est… (il serra les dents, sentant qu’il allait en dire trop) Ce n’est pas la lâcheté, ni les atypiques qui m’ont conduit à Abyre aujourd’hui, et…
On les interrompit. Diableries… c’était encore ce bougre des mers. Quel était son nom déjà ? Il se remémora vaguement qu’il l’avait entraperçu au Gra’R’No, essaya tant bien que mal de se souvenir de ce qu’avait prononcé Erilys… ah oui Thymar. Diableries donc… cet elfe des mers l’avait croisé sur les quais. Sa bouille ne lui avait pas plu et il l’avait emmené jusqu’ici pour le balancer dans les crocs de sa dame. Mais il voulait également une petite bouchée de viande de son cadavre. Peut-être avait-il dans l’idée de le balancer dans un autre genre d’endroit. Il n’avait pas encore accepté le fait qu’un barde comme lui puisse se trouver dans un lieu aussi glauque que celui de la cité basse. Il avait employé le terme « rôder » mais il s’agissait là d’un emploi bien mal usité ! Rôder… comme s’il hurlait à la lune avec ses compagnons de fanges, sabre au clair au milieu des rires et chopes de bières éventées, à l’intérieur d’une taverne de bien vilaine extraction. Ce bonhomme cherchait simplement à lui tirer les vers du nez. On lui avait certainement donné des ordres. Cela ne mit pas Nirfäel dans les meilleures dispositions, cela dit. Si ses suppositions se révélaient vraies, alors il fallait qu’il sorte de la ville et s’éloigne pour quelques temps du coin. Erilys n’eut pas l’air d’en être gênée. Elle le laissa faire et Thymar l’invita à se rassoir. Cela peina grandement Nirfäel. Il ne se serait pas attendu à ce que la demi-elfe l’offre si vite en pâture à cet horrible elfe aux cheveux gras. Mais bon, s’il le fallait.
C’était dans sa nature d’apporter des justifications et des excuses. Rouler des lettres, c’était un penchant finalement très hommasses. Personne n’était parfait :
-Je vous donnerai bien le détail des ordres que j’ai reçus, mais l’ennui, c’est que je n’en ai pas le droit. Autrement dit : oui, j’en ai bien peur.
Le barde termina son verre d’eau et releva la tête vers Thymar :
-Eh bien tonton, n’allongez pas vos aises plus longtemps. Personne n’oserait ici bas demander à un homme de loi de distiller la part belle de son magot de commandements intimes. Alors déchargez le poids des accusations qui vous pèsent.
Le garde gloussa et vint s’installer face à lui afin de le toiser dans le blanc des yeux. Le barde n’aimait pas son regard. On aurait dit qu’il essayait de percer sa tête avec. Il était pourtant loin d’être aussi impressionnants que les inquisiteurs abyréens. Rien que d’y repenser, Nirfäel en eut la chair de poule :
-On fait dans la bienveillance, maintenant, maître barde ? Ne vous en faites pas, je le répète, ce ne sont que des banalités. Je ne vous soupçonne de rien. Pas encore. Si j’ai pu paraître menaçant à votre égard, veuillez m’en excuser.
-Je vous excuse.
Thymar marqua un temps d’arrêt, légèrement surpris. Il reprit vite de l’aplomb :
-C’est plutôt dangereux d’aller à la cité basse à l’heure où les flibustiers de passage s’empiffrent dans les tavernes. Est-ce que vous pouvez me dire ce que vous y faisiez ?
-Si cela vous amuse. Je cherchais un navire.
-Un navire… dans ce coin de la cité.
-Il en vaut un autre.
-Si vous avez envie de vous retrouver avec la gorgée tranchée en deux, ça vaut bien tous les coins du monde, ouais. Pour quoi faire, ce navire ?
-J’ai des affaires qui m’attendent en Aurvangar.
-Vous nous quittez donc déjà ?
Le barde se mordit la lèvre intérieure. Il n’osa croiser le regard d’Erilys. Il n’y avait aucun regard à croiser de toute façon, la demi-elfe leur tournant le dos :
-C’est le cas.
-Je vois…
Soudain, Thymar sortit un parchemin de sa poche. Le papier était jauni, l’encre rouge comme le sang. Une odeur. Métallique. C’était bien du sang. Dessus, on pouvait lire les lignes :
« Notre couverture a été repérée. Corryn est mort. Plan a échoué. Lièvre doit fuir de sa cachette. Pas être attrapé par la garde. Rejoindre faucon à la Place de la Lance d’Argent. »
Nirfäel mit toute son énergie pour résister à l’envie de déglutir. Corryn lui disait toujours que c’était une sale manie qui lui prenait lorsqu’il s’apprêtait à cacher quelque chose. Il tâcha de sourire calmement lorsque Thymar lui expliqua :
-On a retrouvé cette lettre sur un enfant garne il y a quelques heures. Il a tenté de s’enfuir, mais nous l’avons attrapé à la bonne vieille façon : deux flèches à barbelées dans le dos. A l’impact, ça vous explose des dizaines de petits morceaux dans les organes. Sale bestiole, pas vrai. (Il étendit le parchemin sur la table) Tout en poil, et moche avec ça. Il n’a pas pu nous dire grand-chose, mais on n’en a pas eu besoin. On a réussi à identifier son destinataire, un certain Faïlhan. Ce nom vous dit quelque chose ?
-Pas le moins du monde.
-Tant mieux. Je n’étais pas là lors de sa capture. C’est une autre patrouille qui a fait le boulot. Les inquisiteurs du palais le soumettent à la question en ce moment même.
-C’est très intéressant. Et quelles réponses comptez-vous trouver ?
Thymar fit la grimace. Il tapotait lentement du doigt le coin de la table en le fixant pensivement. Le barde eut un frisson très désagréable. Finalement, il haussa les épaules :
-Sais pas. Et je sais pas si je veux le savoir. Je ne suis qu’un soldat, moi. Avant d’être à Abyre, j’étais déjà soldat à Sibech. Quand les gens de l’Ouest sont arrivés, je me suis fait marin pour les appareiller jusqu’à la Baie d’Astal. C’est dire si j’ai pu entendre du ragot dans ma vie. Mais pas cette fois. Cette fois, les inquisiteurs se font discrets sur leur affaire. Ils sont arrivés en grande pompe, avec des masques au le visage. Ca leur faisait une tête énorme. Personne se boyautait dans la caserne. Ils ont mis le branle-bas de combat et soudain, on s’est mis à chercher des elfes dans leur maison, à les sortir dans la rue pour qu’ils les éventrent comme des cochons devant la foule. On s’est mis à filer des gens de sombre réputation, qui jusqu’ici avait toujours réussi à passer entre les mailles du filet. Sauf que ces inquisiteurs, ils s’ennuient pas de conversation. Ils te plantent et tu crèves, et si t’as pas de chance, ils te prennent vivants avec eux. Ca a l’air d’être de la grosse paperasse qu’on leur a volé. Du gros trésor. (Son regard se posa sur le barde.) Vous savez pourquoi je vous dis tout ça. Vous êtes vraiment sûrs que vous n’avez rien entendu à la cité basse là-dessus ?
- Non, Thymar. Je n’ai franchement rien vu à ce sujet.
Un nouveau regard. Thymar garda le silence un long moment, sans donner l’impression de vouloir partir. Il fixait un regard sec et antipathique sur le barde qui sentit l’inquiétude le gagner. Un groupe d’enfant cria dans la rue, amenant un joyeux raffut, ponctué de rires :
-Tant mieux. Si y a des trucs qui vous reviennent, n’hésitez pas à faire un tour au Chaudron millésimé. J’y prends quelques verres avec les gars. Pas à la caserne. Ca vaut mieux pour vous. Les inquisiteurs sont pas très portés sur les gazouillis et la fanfare. Je vais prendre congé.
Il se tourna vers la demi-elfe. Son visage ne trahissait pas l’ombre d’une émotion :
-Mes respects, madame.
Puis il sortit de la maison, laissant la pièce dans le silence qui avait précédé leur conversation et celle qu’il avait eu encore avant avec Erilys. Le barde demeura assis cinq bonnes secondes. Après quoi, il tenta de se lever, une sale expression dans les yeux. Il était plus blanc qu’un linge. Il tremblait des poignets, comme s’il allait s’écrouler. Il demanda à Erilys sans crier gare :
-Pourrais-je avoir encore un peu d’eau, s’il te plaît ?
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| | | Ambassadrice de l'Amour Messages : 1047 Date d'inscription : 07/01/2018 Age : 23 Localisation : Abyre
| Sujet: Re: Par diva et par barde [PV la Belle de nuit] Sam 8 Aoû 2020 - 17:27 | |
| Pour s’occuper en attendant la fin de leur entrevue, Erilys avait apporté son mouchoir et son matériel de broderie, un art que lui avait enseigné sa mère des décennies plus tôt et un des rares bons souvenirs qu’elle gardait d’elle. Ervena lui avait appris le geste et la réflexion mathématiques qui matérialisaient sa créativité. En prime, cela avait permis d’apprendre à la jeune fille qu’elle était alors à être patiente et appliquée dans toutes ses entreprises. Seulement voilà : alors qu'elle était assise dans sa bergère recyclée, les mains de la demi-elfe restaient quasi-inertes devant son ouvrage. Impossible de se concentrer. L’entièreté de son attention était portée sur l’interrogatoire que menait Thymar, et elle n’était pas certaine d’apprécier la tournure qu’il prenait. Le ton qu’employait l’elfe des mers pour poser ses question l’agaçait à lui faire hérisser le poil : tout en condescendance et en menaces tapies sous des silences orageux. On aurait dit un serpent face à une grenouille.
– Vous nous quittez donc déjà ? Nouveau blanc. Un sourire amer peignit ses lèvres tandis qu’elle arquait de fins sourcils, sa main momentanément figée au bout du fil. – C’est le cas. Elle replanta l’aiguille dans le tissu en hochant la tête avec évidence. Gagné ! – On a retrouvé cette lettre sur un enfant garne il y a quelques heures. Il a tenté de s’enfuir, mais nous l’avons attrapé à la bonne vieille façon : deux flèches à barbelées dans le dos. A l’impact, ça vous explose des dizaines de petits morceaux dans les organes. Sale bestiole, pas vrai. Erilys jeta un coup d’œil discret sur le dos de Thymar. Ce genre de manœuvre d’intimidation, cette virilité rustre, produit de la mauvaise foi et de la mauvaise volonté avait le don de l’énerver sérieusement. Il avait déjà la carrure d’un bourreau et il le savait : c’était déjà bien suffisant pour amoindrir Nirfäel, d’autant plus qu’elle lui avait elle-même passé un savon à peine quelques minutes plus tôt.
Erilys leva brusquement la tête et se mordit la lèvre. Elle venait de réaliser quelque chose. Il était en effet probable qu’une grande partie de l’hostilité de Thymar provînt de sa nature protectrice. Savoir que Nirfäel avait rendu leur amie commune triste lui avait sans nul doute donné des envies bouillonnantes de gourmer du barde, or, à ce moment, Thymar ne s’exprimait pas en tant qu’ami mais en tant que représentant des lois d’Abyre. Erilys ne pouvait donc rien dire pour tempérer la situation. Chaque phrases que Thymar prononçait, elle les recevait comme une pluie de traits trempés dans le poison de la culpabilité. “Ça ne lui ressemble pas. Il a toujours fait la part entre sa vie privée et son travail. Je n’aime pas ça…”
Quelques minutes plus tard, les demi-elfes voyaient enfin le bout du supplice. Thymar se tourna une dernière fois vers la demi-elfe. Celle-ci continuait obstinément de leur tourner le dos. – Je vais prendre congé. Mes respects, madame. Erilys releva légèrement la tête, un regard absent absent fixés sur le foyer en face. – Au revoir Thymar. Le garde s’avança vers l’entrée et quitta la maison. Erilys appuya sur son dos un regard plein d’une désapprobation qui le suivit bien après qu’il eut fermé la porte. Visiblement, il n’avait pas eu assez de tourmenter le barde : il fallait qu’il lui réservât un adieu d’une cordialité froide comme la pierre. La demi-elfe resta un moment bloquée face à l’absurdité de cette scène, secouant pensivement la tête. “C’est une énigme. Ou j’ai tout faux, ou quelque chose m’échappe.” – Pourrais-je avoir encore un peu d’eau, s’il te plaît ? Ce fut la voix de Nirfäel, ou plutôt son filet de voix qui la tira de ses ruminations. Erilys se détourna de la porte et ses traits se figèrent au moment de poser les yeux sur lui. Elle ne s’était pas attendu à le retrouver dans un état pareil. Thymar l’avait mis en pièces. Il chancelait, il était blême et son front brillait comme s’il était pris de fièvre. Il eut alors ce regard de loup blessé qui lui vrilla cœur. – Oui. Bien sûr… Je vous en prie, rasseyez-vous. Elle posa son matériel et se leva pour lui remplir son gobelet. Songeant qu’un peu de sucre l’aiderait peut-être à recouvrer ses couleurs, elle décida de lui porter également une petite corbeille où s’entassaient des dattes fraîches. Après quoi elle s’assit à son tour, à côté de lui cette fois. Il n’y avait plus de dureté dans son visage, seulement une expression de profond embarras. – Je suis désolée, dit-elle en jouant des doigts. Ce n’était pas l’ami courtois et cultivé que je côtoie d'ordinaire. Il s’est conduit... comme un animal. Je ne sais pas ce qu’il a cru en vous disant ces horribles choses, peut-être que ça lui ferait pousser du poil au menton. Croyez-moi quand je vous dis que j’ai détesté son odieux petit manège… Mais je ne pouvais pas intervenir. Il m’aurait renvoyée paître. Elle se tut instant et le regarda. Ses mains tremblaient encore. Les traits de son visage, à la géométrie d’ordinaire si délicate, s’étaient faits aigus et embrouillés comme une pelote en désordre. À travers le V de son col, on pouvait distinguer une rougeur sur la peau qui débordait discrètement jusqu’à son cou. Erilys eut un pincement au cœur. Elle avait déjà vu cela. C’était un symptôme bénin, mais il traduisait une nervosité intense. Non, elle n’aimait pas le voir ainsi. Elle voulait le consoler, tenir ses poignets et lui dire qu’elle allait prendre soin de lui, mais elle s’y refusa catégoriquement. Il ne fallait pas perdre de vue qu’il l’avait blessée et ignorée pendant des mois. Cette guerre entre sa fierté et son inclination naturelles lui était d’une vive douleur, mais il fallait garder la tête froide et montrer que son amitié ne lui était pas toute acquise, quand bien même ce fût effectivement le cas. Il devait la mériter, reconnaître et apprécier sa valeur pour ne plus jamais la traiter avec indolence comme il l’avait fait. La demi-elfe ferma les paupières, se pinça les lèvres une seconde, puis se redressa sur son siège avec un air décidé. – Je crois que c’est assez de foudre pour le moment. Après ce qui vient de se passer, je n’ai plus le cœur à vous sermonner. Attention : cela ne signifie pas que je vous passe votre négligence pour autant. Si vous voulez mon pardon, il vous faudra l’entretenir. Autrement vous le verrez faner et moi avec. Bien… Tâchons de réparer les pots cassés avant que vous ne partiez. Et puisque vous êtes pressé, vous feriez mieux de vous chausser tout de suite. Le chemin vers la tombe de Danalhéa est long et éprouvant.
* * * Une nouvelle toilette, un joli bandeau brodé et un couteau dans la botte – habitude héritée de Feu son mentor – Erilys était fin prête. Dans un large panier d’osier, elle avait emporté quelques fruits, une gourde et la flûte enchantée qui lui avait été offerte, le tout recouvert d’une nappe de lin blanc. Elle espérait que ses préparatifs avaient laissé le temps à Nirfäel de se remettre de ses émotions et de s’apprêter correctement. Si la perspective d’une petite heure de marche en pleine pente ne semblait pas le réjouir, la demi-elfe ne lui laissait pas d’occasion de protester. Il aurait été honteux pour le barde de ne pas visiter la tombe de leur défunte amie avant de quitter Abyre. L’objectif de ce pèlerinage était non seulement de rendre hommage à Danalhéa, mais aussi de démêler tranquillement les nœuds qui avaient embrouillés leurs liens. Pour cela, rien de tel qu’une promenade en pleine nature, où les lignes fugitives des plantes et des paysages ouvraient l’esprit et où le bon air le maintenait au frais. Erilys comptait sur cela pour détendre le demi-elfe et le sortir de sa coquille, et si Nirfäel montrait qu’il était digne d’estime au terme de cette sortie, il aurait droit à une petite surprise…
Erilys l’entraîna hors de la ville par des rues anciennes et peu fréquentées. De grands pans de toile tendus entre les bâtiments projetaient des ombres colorées et frémissaient au gré des vents remontant de la mer. C’était bien plus agréable à traverser que les grandes allées de pavé blanc inondé de soleil où tout le monde circulait et s’énervait. La demi-elfe essayait tant bien que mal de motiver le barde à avancer. Il avait franchement l’air bizarre, mais elle mettait cette attitude sur le compte du passage tempétueux de Thymar quelques instants plus tôt et sur le sentiment naturel d’inconfort qu’il pouvait ressentir à l’idée de se faire éventuellement disputer à nouveau.
La canopée prodiguait une pénombre d'une fraîcheur exquise. Perruches et perroquets carillonnaient sur les branches lointaines. Erilys désigna de loin un nid d’alcyons bleus dissimulé entre les sinuosités verdoyantes des arbres. Elle nomma les plantes tropicales dont elle connaissait les vertus, cueillit un bouquet de fleurs sauvage le long du chemin… mais très vite le silence revint, pesant. La demi-elfe ne trouvait plus rien à dire pour détendre l’atmosphère, et Nirfäel lui paraissait plus difficile à déchiffrer à mesure qu’ils progressaient dans la forêt. S’il n’était pas silencieux, il faisait preuve d’un laconisme qui frisait la pathologie. Rapidement, sa bonne volonté recula et Erilys commença à se remettre en question... et fut prise d'un doute vertigineux.
– ...Vous aurais-je déplu d’une quelconque manière ? demanda-t-elle soudainement, les yeux baissés sur son bouquet. On aurait dit… J’ai cru que vous cherchiez à m’éviter. Elle se ménagea un silence afin prendre une inspiration. Vous souvenez-vous du bal masqué de cet hiver ? En finale, ils avaient joué cette pièce dont l’intitulé m’avait interpellé en lisant le programme : La valse pour orchestre et cerisier en fleur. Le sens s’est fait le moment venu : Quand les musiciens ont égrené leurs premières notes, quelque chose a jailli de la grande jarre faïencée bleue qu’ils avaient dressée sur scène. C’était la jeune pousse d’un cerisier absolument extraordinaire. À mesure que la musique gagnait en entrain, l’arbre gagnait en taille et en majesté. Il a fini par fleurir et a répandu tous ses pétales sur nos têtes… Erilys tourna légèrement la tête vers lui, un sourire très modeste aux lèvres. Je vous ai taquiné, vous avez fini par m’inviter à danser et, à la fin, je vous ai embrassé sur la joue. J’ai cru que je vous avais fait fuir… Mais vous savez, j’étais un peu dans les nuages. À cause de la boisson. Je... suis désolée si cela vous a mis mal à l’aise. »
Dernière édition par Erilys le Dim 30 Aoû 2020 - 13:29, édité 1 fois |
| | | Barde Seigneurial Messages : 874 Date d'inscription : 20/08/2012 Age : 28 Localisation : En train de composer, que diable !
| Sujet: Re: Par diva et par barde [PV la Belle de nuit] Mar 25 Aoû 2020 - 18:33 | |
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Voir le visage d’Erilys s’assombrir de douleur grandissante à son égard fit naître un sentiment de tristesse en Nirfäel, lui faisant remuer des bras pour se redresser avec un peu d’entrain. Il se balança d’avant en arrière, un mince sourire étirant ses lèvres. Une retenue laissait néanmoins deviner que son attitude sonnait faux. Mais le barde ne voulait pas que Dame Erilys s’inquiète pour lui. Thymar n’avait pas été de la plus grande bienveillance en l’interrogeant avec autant d’animosité et de reproche. Mais un rapide calcul des dangers évoqués expliquait aisément sa conduite. L’elfe abyréen connaissait le sort qui attendait ceux qui trempaient dans cette affaire d’inquisition. Il le connaissait sûrement mieux que les victimes elles-mêmes, lui qui avait pu l’observer à répétition. C’était vrai, les inquisiteurs n’étaient pas des enfants de cœur. Ils ne laissaient que des cadavres sur leur passage. Si Thymar l’avait interrogé avec autant de virulence, c’était autant pour le piéger que pour protéger Erilys d’un éventuel lien avec tout ceci.
« Eh bien oui, petit garde ! Pourquoi croyais-tu que je me faisais plus discret qu’une couleuvre, quitte à ne pas visiter la personne à laquelle je tenais le plus dans cette fichue cité ? »
Nirfäel se focalisa sur la demi-elfe. Ses yeux d’un bleu azuré et pâle, intense et langoureux, détaillaient attentivement ses traits, comme pour les graver dans sa mémoire et se gorger du plaisir rare de retrouver son Elelna Hëlle, qu’il s’était quasiment interdit d’assouvir en revenant à Astal : Un torrent écumant de bonheur et d’enthousiasme, momentanément apaisé par le tranchant attentionné, mais réservé, des paroles d’Erilys. Oui, il l’avait blessé. Il le savait désormais. Et maintenant qu’il était là, il ne pouvait faire machine arrière, quitter cette maison en se persuadant qu’il ne laissait nul trace de son passage. Les évènements s’accomplissaient, indifférents à sa volonté.
Il espérait simplement qu’il n’allait pas voir la vie de la demi-elfe à nouveau brisée par sa présence. Pas comme à Skerlida.
Peu désireux de rester planté là, dans une cuisine et un lieu qui lui paraissait encore bien étranger, le barde fut heureux de l’inviter à un départ précipité. Il se chaussa comme elle le lui ordonnait, avec beaucoup d’excitation. Il prit son luth et l’attacha avec une bandoulière dans son dos comme s’il s’était agi de son glaive de chevalier. Qu’importe où elle l’emmènerait en réalité, il en faisait peu cas. Elle l’avait averti que pour trouver son pardon, il lui faudrait faire quelques efforts. Cela signifiait que tout deux n’attendaient que ça.
Ils sortirent bien vite de la maisonnée et s’engagèrent dans les ruelles et les avenues de la cité basse. Le temps demeurait radieux, mais des nuages au loin indiquaient que le ciel allait bientôt s’assombrir. Il faisait toujours aussi chaud mais cela n’empêchait pas la populace de régner en maître sur les grandes places. Erilys l’emmena donc sur des chemins plus secrets, des allées plus discrètes, où le vent carillonnant sonnait agréablement aux oreilles. Tout du long, ils demeurèrent bien silencieux. Nirfäel lui-même n’était effectivement pas bien loquace. Pourtant ils allaient sereinement, sans partager de mots certes, mais en compagnie franche et bienvenue. Erilys s’était faite belle pour l’occasion. Son bandeau brodé faisait rejaillir ses traits, et il eut un heureux regard en tombant sur la flûte qu’elle portait dans son panier. Une douce attention envers lui. Et un bon réflexe ! Comme il le disait lui-même : Quiconque s’affirmant musicien s’adresse au cœur et à l’âme et pour se faire, doit toujours emporter sa friandise instrumentale avec lui.
A ces pensées, le barde se dérida. L’aisance avec laquelle le contact entre eux s’était retrouvé installa une douce chaleur dans sa poitrine.
Il y avait quelque chose d’étrange à se retrouver en sa compagnie. Erilys avait une prestance et un charisme tels qu’elle lui donnait l’impression d’être plus grande que lui. Elle avait appris à marcher comme une vraie dame. Peut-être avait-elle toujours su comment faire, mais n’en avait que très récemment décelé les plus infimes subtilités. Par comparaison, Nirfäel se faisait l’effet d’être plus petit que la plupart des gens qu’il rencontrait, de pouvoir passer inaperçu et d’être en mesure de se glisser dans un trou de souris si l’envie le prenait. Tout comme il lui arrivait d’oublier que sa crinière aussi blanche que le manteau soyeux de la neige pouvait le distinguer au milieu d’une foule. Ces oublis-là, cependant, n’avaient lieux que lorsqu’il pouvait se le permettre.
En s’installant hors de la ville, ils entrèrent dans le domaine d’une grande forêt dans laquelle la cime des arbres captait la lumière du soleil. Au travers des branches et sous la pénombre que produisait le feuillage, Nirfäel fut soudainement pris d’inquiétudes. Il jetait des regards aux alentours, devint silencieux et morne. Il pensait parfois voir des ombres qui ne collaient pas avec les nobles silhouettes sylvestres. Des ombres qui les suivaient et qui s’évaporaient lorsque son regard perçait leur voile. Des ombres parfois bipèdes, parfois bestiales et énormes.
Folie que tout ceci ! Impossible… Ils avaient traversé tant d’allées, passé par tant de chemins. Personne normalement n’aurait pu les suivre. Nirfäel se faisait sûrement de fausses idées, car quand bien même on voulait les suivre, il aurait fallu savoir qu’il se trouvait dans la cité basse, dans cette maison près d’une allée remplie de ces pauvres gens ! Malgré tout, le trouble le rongeait, s’inscrivait dans son esprit en lettres de feu. Ce furent les paroles d’Erilys qui, changeant brusquement du ton doux et chaleureux qu’elle s’employait à garder depuis un moment, le tira de sa paranoïa. Il sentit son agitation, son impatience due à son silence, et bien d’autres petits tourments qu’elle se gardait de lui afficher mais qu’il lisait aisément dans la pénombre.
Bon sang, voilà qu’il perdurait dans sa phase plate, morne et centrée, et perdait de son céleste, son virevolte et son vertical ! Quel brutal sérieux il était en train de faire preuve, à coaguler de la tristesse autour de son cœur d’angoisse, à marmonner du quoi et à tenter de discerner le où : En ce lieu inconnu, les apparences faisaient la part belle à son effroi et lui s’y jetait la tête la première. Il jeta un œil à sa demoiselle qui se préoccupait de son état. Il s’adoucit. Ne pouvait-il pas pour une fois dans sa vie garder la tête haute comme elle ?
-L’un d’eux jouait de la lyre et l’autre jouait de la flûte, répondit-il subitement. Lors de l’assemblée. C’était les deux véritables magiciens sur scène. Ce sont les notes aiguës qui ont éveillé les sens de la graine, et l’ont fait pousser pour en former le cerisier. Les autres n’étaient là que pour enrober le son de leur mélodie et donner une texture plus ample à nos propres oreilles. A ce moment-là, tu souriais derrière ton masque de filigrane et de satin noir. Et tu m’as taquiné oui : Tu m’as dit que ces musiciens avaient un certain sens du spectacle, bien loin des fanfarons qui agitent des bras et des jambes pour introduire leur bouffonnerie… (Un petit sourire le dérida) un fanfaron comme moi. Nous avons ri. La boisson, sûrement. Ou peut-être la simple envie de rire. Et puis on a laissé nos bouffonneries de côté, ou plutôt nous les avons invités, pour aller danser. Je me souviens de tout comme si c’était hier.
Il osa prendre sa main entre les siennes et la garder avec lui. Ses doigts étaient froids au toucher. Cette fois, il sourit vraiment :
-Madame, vous ne m’avez jamais mis mal à l’aise et ne le ferez jamais. Ne vous méprenez pas quand je vous dis que ma disparition n’est due qu’à moi et à moi seul. En vérité je vous le dis, des affaires… certes nocives n’ont cessé de prendre mes pensées par la peau du cou ces derniers jours. Des soucis qui ne concernent que moi et dont je n’ai jamais voulu vous rendre concernée. (Il fit quelques gestes éloquents pour se donner une nouvelle stature) Rien de bien fâcheux, je vous l’assure ! Et je souhaite que dans les prochaines semaines, tout revienne à la normale et que nous puissions en rire.
Le silence retomba. Il ne sut s’il l’avait convaincu. Les mensonges lui brûlaient le palais mais par chance n’avaient que peu d’haleine. Il valait mieux que cela reste ainsi. Quand ils se remirent en route, ils ne parlèrent plus de cela.
Ils n’allèrent pas bien loin non plus.
* * * La tombe se trouvait près du phare Sud d’Abyre qui faisait face aux îles septentrionales. Le barde voyait dans le lointain les montagnes blanches qui s’étendaient près d’Arqash. Il vit aussi les feux follets et leur magie qui imprégnait ces lieux. Leur lueur spectrale s’approcha, les illumina de leur froide inspection. Nirfäel n’osa pas faire un pas de plus. Il ne se sentait soudain que bien peu en droit de se recueillir sur la tombe d’une guerrière qu’il n’avait pas connu. Leur unique rencontre avait eu lieu à Gullvirki et même là, le peu de mots qu’ils avaient échangé n’aurait pas été suffisant pour qualifier cela de conversation. Le barde n’avait fait que de la suivre dans les couloirs sombres du donjon de l’amphithéâtre. Il n’avait pas été bien brave tandis que la guerrière, alors accompagnée de Sieur Edwinktus, s’était jetée seule dans des souterrains plus sombres encore. Ils s’étaient par la suite revus lors du Gra’R’No et là aussi, deux étrangers auraient pu mieux s’entendre.
Il fit néanmoins le pas suivant. D’abord par respect envers la Lionne, puis en vertu du fait qu’il se tenait au côté d’Erilys. Il aurait été déplacé de sa part de ne pas la soutenir dans cette épreuve. D’ailleurs, au moment où il s’exécuta, il en oublia tous ses doutes. Il se devait de rester.
Erilys l’avait bien fait pour lui lorsqu’il en avait eu besoin : -Alors elle est ici, dit-il finalement. Ainsi donc s’est achevé le voyage de la Lionne de Krakenoor. Puisse-t-elle reposer en paix…
Ils s’assirent contre un rocher non loin de la falaise et restèrent là en silence. Le barde voulait dire quelque chose pour réconforter la demi-elfe. Il savait combien voir cette tombe la faisait souffrir. Lorsque les gens l’observaient au loin en passant sur ce chemin, ils songeaient : « Voilà la Lionne de Krakenoor. Elle était la Princesse qui s’est dressée contre le mal et qui aidait les petites gens comme nous. » Mais pas pour Erilys. Danalhéa et elle avaient été de tendres amies durant de longues années. Nirfäel savait que la Lionne était partie sur un bateau pour ne plus jamais revenir, abandonnant son cher ours et elle. Sa vie lui avait été violemment arrachée. Aucun mot ne pourrait alléger la douleur de cette perte.
Le barde dégrafa le luth en bois d’ébène de sa bandoulière. Il le soupesa avant de récupérer le manche d’une main et de poser le corps contre lui. Ses gestes étaient lents et empreints d’expertise. Il se mit à jouer quelques notes, grimpant rapidement dans les aigues, puis distillant lentement le rythme vers une mélodie douce et simple. Elle s’installa au-dessus sur le rocher, dans les herbes et l’air frais de la mer. Riche, le son évoquait la sensation d’un repos paisible, mais au milieu d’une mer en furie. Comme s’ils se trouvaient tous les trois sur une petite île, autour d’un camp où régnait une douce odeur de feu de bois.
Les lucioles luisaient autour d’eux. Elle semblait glisser au milieu des notes, se joignant entre elles pour former des arabesques dans le ciel. La musique gagna en écho, le luth se mua, prit une voix qui n’était plus la sienne mais le son d’un chœur d’instrument qui parut se joindre à lui. Instinctivement, le barde avait fermé les yeux. Bien que toujours confortablement installé contre le rocher, ils bougeaient avec entrain, dansant d’une valse immobile avec son compagnon musical. Les lucioles s’entremêlaient, grandissaient au travers des flots de la mélodie, de son flux et de son onde, chantaient en verve virtuose et affluaient pour former une tâche de lumière sur la tombe. Elles s’arrangeaient encore, tourbillon par-ci, tourbillon par-là. Et de leur danse, naissait un œil de paon luminescent qui virevoltait sans retenue aucune, si ce n’était celle, invisible, de l’infinie musique.
Le barde s’y abandonna tout entier. Il ne prit pas garde au vent qui prenait son souffle de la mer. Au même moment qu’il s’amusait de son œuvre, un bout de papier comme un lambeau de peau morte sortit de sa poche et vola avant de se poser sur le piédestal des herbes hautes.
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| | | Ambassadrice de l'Amour Messages : 1047 Date d'inscription : 07/01/2018 Age : 23 Localisation : Abyre
| Sujet: Re: Par diva et par barde [PV la Belle de nuit] Dim 30 Aoû 2020 - 17:34 | |
| Ils continuèrent leur ascension sans prononcer un mot de plus. Ce n’était plus le même silence fertile en mésaise qui avait précédé leur échange quelques instants plus tôt. Non : c’était un silence paisible, léger, qui laissait à chacun apprécier la simple présence de l’autre. En un sens, les paroles du barde avaient apaisée la demi-elfe et elle ne doutait plus de sa sincérité. Lorsqu’il lui avait rendu sa main, Erilys s’était contentée de dissimuler son sourire derrière son bouquet en faisant mine d’en humer le parfum. Elle n’avait pas voulu qu’il vît à quel point ce petit geste l’avait émue. Question d’éducation : un excès d’émotion est aussi disgracieux qu’un manque apparent de sensibilité. Elle l’avait donc observé avec des yeux limpides et lui avait répondu très courtement, avec une sobriété pleine d’élégance : – Ce que j’espère également.
Au terme d’une grosse demi-heure passée à marcher sans précipitation à travers la ville et les bois pentus, ils débouchèrent enfin sur le petit bout de clairière sacrée où se dressait la tombe de la défunte Lionne. Le soleil avait brûlé les herbes rases mais les deux arbres tordus par les vents formaient un solide toit de verdure sous lequel il faisait bon de s’abriter. Cet endroit donnait vue sur l’océan et sur une partie de la ville. En contrebas vers le Sud (qui se trouvait être à leur gauche) s’élevait fièrement le phare.
C’était Danalhéa qui avait fait découvrir cet endroit à la demi-elfe. Les deux femmes revenait d’un entraînement à la caserne. Ce jour-là, l’humaine avait paru tourmentée par d’obscures raisons. – Tu as mauvaise mine. Ça ne va pas ? Que t’arrive-t-il ? – ...Quelque chose comme une indigestion. – Oh, je vois. Tu devrais rentrer et te reposer... – En fait… J’aimerais que nous allions quelque part ensemble. Toutes les deux. Entre amies. Faire une promenade. – ...Oui, cela me tente assez ! Dois-je préparer quelque chose ? – J’ai du vin. Cela suffira.
Danalhéa l’avait menée à travers les bois jusqu’à cette clairière au bord de la falaise qui donnait sur le plein Ouest. C’était le soir et le soleil semblait fondre sur la mer, diluant sa lumière parmi ses eaux tranquilles. Il y avait le phare et plus bas encore, la ville animée. C’était le mois de septembre. La demi-elfe s’était assise et Danalhéa s’était à demi-allongée à côté d’elle. Elle faisait tourner sa chevalière autour de son annulaire, songeuse. Elle ne dit pas grand chose ce soir là. Hormis qu’ici, elle se sentait bien. Qu’ici, entre ces arbres, à l’orée de l’automne, au milieu des feuilles sèches, cela lui rappelait un souvenir très doux. – Un souvenir ? Danalhéa hocha lentement le menton et s’allongea entièrement en fermant les paupières. – Et tu me le raconterais ? J’aime les contes de fée ! L’humaine tarda plusieurs secondes à répondre. Peut-être avait-elle pensé à ce moment là que c’était parce la demi-elfe ignorait encore que les contes de fée n’étaient que des mensonges. – Celui-ci ne te plaira pas, souffla-t-elle. Erilys tourna la tête pour répliquer, mais alors qu’elle ouvrait la bouche, elle remarqua la trace étoilée qu’une larme avait laissé sur la joue de son amie. Quand elle lui demanda si c’était parce qu’il se terminait mal, Danalhéa lui renvoya un regard funèbre.
* * * Le vent s’était levé. Il portait sur ses ailes une armée de nuages épais qui provenaient de la mer. Un tourbillon de feuilles mortes vint chahuter près de la stèle de pierre tandis que les demi-elfes s’avançaient vers elle. Erilys laissa Nirfäel s’imprégner seul du lieu quelques instants tandis qu’elle s’installait près d’un rocher à l’abri du vent. Le demi-elfe ne tarda pas à la rejoindre et s’assit à ses côtés. Ils demeurèrent ainsi quelques instants, sans s’encombrer de plus de paroles. C’est alors qu’il décrocha le luth qu’il avait ceint à son dos, le posa contre son ventre. Et il se mit à jouer.
Ce fut à ce moment qu’Erilys réalisa qu’elle ne l’avait jamais ni vu ni entendu à l’oeuvre – elle ne comptait pas le macabre air de flûte qui avait servi à la sauver des griffes des sorciers dans les profondeurs des égouts de Skerlida. C’était la première fois qu’elle le voyait vêtu de sa peau de musicien et elle en fut soudainement très curieuse. La demi-elfe se déplaça en face de lui pour ne pas le gêner et mieux admirer son jeu. L’instrument lui-même était assez unique : il était constitué d’un seul bois qu’Erilys estima très justement être de l’ébène décoré de délicats rinceaux d’ivoire. Celui-là, mieux valait ne pas le casser. Nirfäel se promenait sur la touche avec une aisance spectaculaire. Nulle précipitation dans ses gestes : en vérité, les doigts de sa mains gauche semblaient à peine bouger sur le manche. C’était pourtant une myriade de notes qui s’échappaient de la rosace sculptée du luth. Il y avait quelque chose d’hypnotisant dans l’image de ses mains ambrées évoluant sur le corps sombre l’instrument, et les cordes pâles onduler paisiblement sous ses doigts. La demi-elfe sourit et se releva tout doucement. Autour d’elle, les lucioles semblaient danser. Elle se dirigea tranquillement auprès de la tombe pour s’y agenouiller. Là, elle y déposa le bouquet de fleurs sauvages qu’elle avait cueillies en chemin et chuchota : – Écoute, ma Dana. C’est pour toi. Erilys ferma les yeux à son tour et se vida de toute pensée pour ne laisser place qu’à la musique. Elle sentit l’harmonie percer sa peau et s’infiltrer au travers de ses moindres pores, puis la mélodie s'enrouler autour de ses os comme un ruban de soie bleue sur lequel chaque harmonique, chaque trille, chaque notes de passage était une perle qui glissait, roulait, filait avec légèreté et précision, les aiguës scintillantes et les basses roucoulantes. C’était de la musique, et c’était une caresse. La demi-elfe rabattit machinalement sa natte sur le côté. Alors qu’elle posait ses doigts sur la tresse, elle sentit quelque chose bouger bizarrement parmi les brins. Elle craignit d’abord que ce fût une des lucioles avant de réaliser qu’il ne s’agissait que d’un bourgeon que le vent avait probablement déposé là. Elle voulut le décrocher, mais tandis qu’elle tirait, elle rencontra une petite résistance : la tige craqua. Erilys fronça les sourcils, intriguée. Les plantes ne poussaient pas dans les cheveux des demi-sang comme elle. Pourtant, cette chose était bel bien en train de fleurir dans ses cheveux. Erilys étudia la fleur qui continuait inlassablement d’ouvrir son pompon de pétales au creux de sa main. Sa tige s’étendait et se pourvoyaient de nouvelles racines qui commençaient à s’enrouler amicalement autour de ses doigts. La seule chose qu’elle trouva pour expliquer cet étrange phénomène, c’était la magie de Nirfäel. « Un bleuet ? (Erilys fit pivoter la fleur entre ses doigts pour mieux l'identifier.) Bigre ! Parmi toutes les fleurs, il fallait que ce soit le bleuet ! Est-ce donc cela, l'effet d'une musique qui parle vraiment à l'âme ? » Les choses magiques qui découlaient de cette musique, était-ce du fait du musicien ? Était-ce lui qui infusait le monde de ce que ce qu’il souhaitait lui transmettre, ou était-ce le monde qui s'émouvait et entrait en résonnance avec lui ? Probablement un peu des deux. Mais alors, ce bleuet, de qui était-il ? Si la tombe possédait des sourcils, elle serait probablement en train de les hausser de manière répétée et suggestive. « Pour l'amour du ciel, … » résonna la voix de Danalhéa. « Non. Chut, chut, chut. Ah ! J'aurais préféré fleurir en pervenches ! Bigre de bigre, pourvu qu'il ne sache pas lire les fleurs… » Ce dont elle doutait sérieusement, car tout respectable poète possède au minimum quelques rudiments en littérature botanique. C'était maintenant deux nouveaux bourgeons qui s'étaient rangés entre les brins de sa tresse. Erilys les sentit sous ses doigts en effleurant l'arrière de ses cheveux. Elle songea que c'était comme l'hydre : si elle en enlevait un, il en poussait un supplémentaire.
La brise se leva de nouveau sous le ciel désormais tout ecchymosé de nuages. Le morceau de parchemin qui filait sur son dos fut brusquement arrêté par la pierre tombale et tomba dans un bruissement de papier. Erilys l’attrapa entre son index et son majeur. La façon dont il était plié indiquait qu’il ne s’agissait pas d’un simple déchet. Elle l’ouvrit.
Notre couverture a été repérée. Corryn est mort. Plan a capoté. Faucon doit fuir de sa cachette. Pas être attrapé par la garde Le message était écrit avec une encre brunâtre et glauquement calligraphié. Erilys tendit le cou pour le sentir, et l’odeur lui fit immédiatement relever la tête en fronçant le nez. C'était bien ce qui lui semblait : du sang. Alors les mots de Nirfäel flambèrent dans sa mémoire. Elle commençait à comprendre, et plus elle comprenait, plus son corps se glaçait. La peur se mit à gonfler comme un nuage sous sa poitrine et elle eut la sensation que ses poumons s’écrasaient sous sa pression. Erilys tourna la tête vers le demi-elfe. Il continuait de jouer candidement, bien loin du monde, des affaires nocives dont il ne l’avait jamais voulu concernée, bien loin de Corryn et de son plan capoté. Ses traits étaient si détendus qu’on aurait pu croire qu’il s’était endormi. « Mon tendre ami… Dans quel pétrin t’es-tu fourré cette fois-ci ? » La demi-elfe se glissa à ses côtés à pas de velours. Elle s’installa à sa droite, un peu en retrait derrière son épaule. D’ici, elle pouvait distinguer l’angle obtus de sa mâchoire, le dessin allongé de ses oreilles elfiques, le coin à peine ridé de ses yeux et le détails de ses cils sur fond d’horizon. Ses cheveux blancs aux reflets opalins tombaient sur sa nuque et sous ses clavicules tels de fins fils de soie, oscillant de temps à autres sous les courants d’air. Son air apaisé laissait filtrer ce quelque chose d’infiniment doux et pur qu’on ne discernait d’ordinaire qu’en filigrane sous les apparences extravagantes, parfois même un peu bouffonnes qu’il se plaisait à montrer en public. Et dire qu’il y avait ici-bas des gens bien cruels qui trouvaient trop doux de lui passer le chanvre au cou. La demi-elfe sentit sa gorge se nouer douloureusement et ses yeux et ses narines la brûler. Elle se pencha en avant et appuya doucement son menton contre l’épaule de son ami. En même temps, elle dessinait des cercles invisibles le long de son dos. Elle ne dit rien. Elle voulait profiter une dernière fois de cet instant de paix qu’elle s’apprêtait à abattre. Au fond, elle espérait que Nirfäel ne s’arrête jamais de jouer. L’oeil de paon se dissolut au dessus de la tombe et les lucioles se dispersèrent. La chanterelle se tut et la musique fut scellée dans un grand trou de silence. Erilys inclina légèrement la tête vers celle de Nirfäel et chuchota :
– Je veux vraiment pouvoir te faire confiance, mais tu ne me facilites pas la tâche. Maintenant, dis-moi tout. »
Elle avait passé son bras sous le sien et tendait, juste devant son visage, le fâcheux petit morceau de parchemin qu'un heureux coup de vent lui avait apporté.
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| | | Barde Seigneurial Messages : 874 Date d'inscription : 20/08/2012 Age : 28 Localisation : En train de composer, que diable !
| Sujet: Re: Par diva et par barde [PV la Belle de nuit] Sam 12 Sep 2020 - 23:13 | |
| En caressant le manche du luth pour entamer sa dernière mélodie, le demi-elfe sentit son esprit basculer doucement vers la réalité brute et ses tristes déboires. Il savait qu’il partageait ici un moment important avec Erilys, peut-être l’un de ses derniers moments heureux pour les prochaines années. Le barde ne souhaitait plus stopper cet instant. Il n’osait jouer les dernières notes, de peur de devoir relever les yeux.
Jamais il n’avait eu à se soumettre à de tels malheurs. Mais celui-ci était autrement plus lourd et mortel. Il était pourchassé, traqué même, par des escadrons d’inquisiteurs abyriens qui ne désiraient qu’une chose : Récupérer les preuves qui incriminaient l’un de leur plus haut commandant de crime de guerre. A Ceannad, et en Aurvangar tout entier pour être exact, ces documents pouvaient facilement déclencher un nouveau conflit. Mais le jeu du pouvoir était autrement plus subtil, où les cartes changeaient de poigne à tout instant. Une telle information pouvait déclencher bien d’autres choses. Elle pouvait notamment donner à Ceannad une force de persuasion auprès de Gulvirki, qui forcerait les elfes des mers à retirer les inquisiteurs de leur main. Quelle nation accepterait de coopérer avec une organisation aussi répréhensible que celle des inquisiteurs, si à tout le moins on découvrait leurs agissements.
Ce que Nirfäel et ses partisans de Ceannad n’avaient toutefois pas prévu, c’est qu’Abyre tienne à ce point à ses inquisiteurs et qu’elle se permette d’envoyer sa propre garde contre les voleurs de documents. Les elfes des mers cherchaient à tout prix à masquer les méfaits de l’inquisition, quitte à promulguer des crimes à tout va pour brouiller les pistes et surtout, retrouver les coupables. Cette histoire aurait presque valu une chanson et Nirfäel en aurait été le premier auteur s’il n’avait pas été lui-même acteur de ce complot.
Et s’il n’avait pas à ce jour les compromettants documents en sa possession.
– Je veux vraiment pouvoir te faire confiance, mais tu ne me facilites pas la tâche. Maintenant, dis-moi tout. »
Le barde décida de ne pas redonner corps à une autre inspiration. Il posa son luth sur ses genoux. Malgré son ton délicat, la peur le prit comme une vilaine toux. Il avait senti une pointe d’insistance. Avait-elle comprit quelque chose ? C’est alors que la demi-elfe tendit sa main. En apercevant ce qui s’y trouvait, Nirfäel hocha gravement la tête. Il s’agita même. Bien qu’elle le tienne légèrement voilée, le barde aurait reconnu ce papier de malheur entre tous. A l’idée de la couleur pourpre de son contenu, son sang se glaça. Le dangereux parfum qui en émanait lui rappelait tout ce qu’il venait de traverser et il se retrouva à frémir au milieu des milles lucioles.
Il se sentait plus que jamais pris au piège par ce qu’il y avait écrit. Dire qu’il se trouvait sur la tombe d’une ancienne grande guerrière ; qui jamais ne se dupait dans le mensonge et la malhonnêteté. Qu’était-il lui, pour mentir effrontément et mettre en danger ceux qu’il aimait ? Devant leur amie commune. Il observa l’air déterminé d’Erilys. L’idée lui traversa de partir à la volée et de ne rien avouer jusqu’au bout. Il en eut honte l’instant d’après. La demi-elfe n’était pas âme à laisser une affaire aussi importante dans son ignorance. Elle chercherait des réponses sans son aide, les trouverait il en était sûr, et en subirait les désastreuses conséquences.
Il lui devait la révélation de ses fautes. Pour le peu de temps où il avait été en sa présence et pour l’avoir fait souffrir ainsi :
-J’imagine que je n’ai pas besoin de te demander de t’assoir, certes non. A vrai dire, je peux me féliciter d’avoir bien caché mon jeu jusqu’à présent, mais l’empressement de certains individus à tenter de retrouver les gens de ma confrérie font que j’ai dû forcer quelques petites choses dernièrement.
Il se racla la gorge et prit un air solennel. C’était aussi celui du valet de chambre qui indiquait la carte des bons vins à retenir pour le prochain dîner. Un air faux, qui lui permettait de dissimuler l’aura de terreur qui commençait à le gagner. Son expression était risible, et il y avait de quoi se permettre une grimace de sarcasme à cette vue :
-J’ignorais dans quoi j’allais m’empêtrer. A une époque, j’aurais été méfiant et j’aurais demandé des comptes. C’était le temps des bonnes affaires, des grandes compagnies de taverniers et des pots-de-vin. Il faut croire que je me suis ramolli. En vérité, voici venir des temps difficiles, dit-il à voix basse malgré le fait qu’ils soient seuls près de la tombe. Difficiles et dangereux. Sais-tu que les relations entre le Tyshar et Abyre se sont grandement détériorées avec ces affaires de Nepprandirs ? Le Nord a appelé à l’aide, mais les elfes des mers n’ont jamais répondu à l’appel. Les ragots à la cour de Ceannad allaient bon train mais ce sont les nains de Gullvirki qui ont enfoncé le clou : les maisons d’Abyre, c’est-à-dire Sabal, Halitu et Cadwenir, ont abandonné leurs alliés, les ont laissé s’affaiblir dans cette guerre des cendres pour prendre l’avantage politique et territoriale sur eux. Il faut avouer que certaines preuves sont flagrantes, tout comme les faits. Le Nord est faible, Erilys. Les nains se sont retranchés dans leurs cités pour ne plus jamais en ressortir. Les peuples de Ceannad et de Cùonfairé ont quelques navires et des dragons, mais Abyre est infiniment plus puissante. Les elfes des mers pourraient balayer le Tyshar d’un revers de la main et faire table rase des royaumes pour bâtir le leur sur notre dos à tous.
Il haussa sombrement les épaules en rattachant son luth à sa bandoulière :
-On pourrait croire que tous les deux on serait à l’abri… mais ce n’est pas le cas. Le suprématisme invétéré des elfes des mers s’arrête à leur cité et à rien d’autre. J’en ai entendu des vertes et des pas mûres au palais de la cité haute. Savais-tu par exemple que, au cas où une rébellion des garnes esclaves éclataient, les quartiers des elfes des mers seraient protégés par la garde, mais pas le tien ? Ni les quais ou la ville basse ? Pour eux, les elfes d’Hypath, les humains et les nains peuvent bien être massacrés que cela ne les empêcherait pas de dormir.
Il ponctua cette dernière phrase d’un revers de la main. L’inquiétude barrait son front, se marquait dans son regard. Un regard qu’il refusait de tourner à nouveau vers son Elelna Hëlle:
-Je me suis égaré là-dedans, voilà tout. Mais au lieu de m’égarer sur une route, je me suis égaré dans les châteaux de Ceannad, de Nisgleiried, à la cour du seigneur de Cùonfairé. Le Tyshar cherche des moyens de pression pour rivaliser avec Abyre. Je… (Il avala sa salive et secoua la tête) eh bien disons que je me suis mis à travailler pour eux, en tout cas pour leur bureau de renseignement. Chaque mois, je leur fournissais des rapports concrets et détaillés sur les activités de certains bouges. Des rapports versifiés évidemment ! Je ne suis pas un espion inculte. Et puis, lors de l’un de mes rapports, j’ai appris que j’étais embarqué dans quelque chose de plus gros : Un vol de document à l’inquisition, afin de mettre à mal les agissements pervers de leur hiérarchie. Je n’ai pas participé au vol. Mais ça s’est mal passé. Affreusement mal passé. Les agents ont récupéré les documents, mais il y a eu un problème. L’un d’entre eux s’est fait attrapé et a été soumis à la question. Au vu de ce que nous a dit ton ami Thymar, ça a porté ses fruits. Chacun d’entre nous est en train de se faire traquer à l’heure actuelle. En toute discrétion manifestement. L’inquisition veut récupérer ses documents. Je les comprends à vrai dire. Il y a des noms là-dessus, Erilys. Et des choses horribles. Des prix sur des noms, des listes de personnes disparues avec l’inventaire des tortures qu’on leur promulgue, des organes qu’on leur prélève pour apparemment faire quelque chose avec. Je crois qu’ils sont de mèche avec un « culte des noyadés » ou quelque chose de genre (Il prit la main d’Erilys tenant le petit parchemin dans les siennes). Du reste, je n’ai pas envie d’en savoir plus. Mais il faut que je quitte cette ville le plus vite possible et que je ramène ces documents à qui de droit. Que je m’en débarrasse et en vitesse.
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| | | Ambassadrice de l'Amour Messages : 1047 Date d'inscription : 07/01/2018 Age : 23 Localisation : Abyre
| Sujet: Re: Par diva et par barde [PV la Belle de nuit] Jeu 17 Sep 2020 - 11:19 | |
| Quand la demi-elfe avait découvert le message ensanglanté au pied de la tombe, la terreur s’était abattue sur elle comme une pluie de carreaux glacés. Le monde s’était soudainement anémié autour d’elle. Elle qui croyait que cette promenade annonçait enfin le printemps du sale moral qu’elle se traînait dans les chaussettes depuis des semaine ; elle qui passait un moment si merveilleux en la compagnie de son ami et de sa musique ! Une ombre s’était glissée au tableau. Une ombre épaisse et glutineuse, l’ombre d’un danger encore indéchiffré et dont Erilys n’avait qu’une vague conscience de l’étendue et aucun moyen d'en connaître les mesures. Oui, elle avait eu très peur, soudain – pour elle, mais plus encore pour lui. Elle avait levé les yeux. Risquer de perdre Nirfäel une nouvelle fois, surtout après que sa Dana lui avait été arrachée, c’était parfaitement inconcevable. Le coeur voilé d’une tristesse abyssale, la demi-elfe s'était pourtant bien résolue à affronter les inquiétantes vérités dont Nirfäel avait tant tenu à la préserver. Elle savait que ces révélations la rapprocheraient encore plus de cette ombre – c’était son choix. La tête toujours posée sur son épaule, Erilys observa du coin de l’oeil les ombres qui défilaient sur la figure du barde tandis que celui-ci réfléchissait à sa réponse. Si elle n’était pas capable de lire en lui comme dans un livre ouvert, Erilys décelait parfaitement, au travers des expressions si familières de son visage, la peur vertigineuse qui l’étreignait de l’intérieur. Ceci trouvait peut-être son explication dans ce que depuis leur rencontre, elle l’avait bien plus souvent vu tourmenté qu’heureux. Cette pensée la désola, et elle espéra qu’il n’était pas trop tard pour inverser les choses.
– J’ignorais dans quoi j’allais m’empêtrer.
Erilys l’écoutait studieusement en acquiesçant parfois du bout de la voix, ignorant le drôle d’effet que cela lui faisait d’entendre la sienne si près de son oreille. Se concentrer sur chaque mot, chaque information, lui permettait de ne pas céder aux larmes d’effroi qui lui poignaient au coin des yeux. Lorsqu’il évoqua la détérioration significatives des relations entre Tyshar et l’Archipel, sa première pensée fut teinté de surprise : ces querelles de grands lui paraissaient si distantes de sa condition d’humble citoyenne qu’elle se demanda d’abord quel pouvait être le lien entre ces nations qui se tiraient la langue et son ami. Ce fut à la mention du mot “politique” qu’elle put entr’apercevoir l’exacte proportion du problème. Elle n’ignorait pas qu’Abyre n’avait jamais voulu répondre à l’appel à l’aide du Nord. Comment l’aurait-elle pu ? Un an plus tôt, Erilys se trouvait dans un scriptorium des grandes bibliothèques de Gullvirki. À ses côtés se tenaient, en plus de ses amis et de quelques inconnus, le sous-conseiller de la maison Sabal Weïgarän et l’ambassadeur de Ceannad. Ce dernier avait alors pour plan de se rendre à l’Archipel afin réclamer l’aide des grandes maisons. Visiblement, l’histoire s’était arrêtée à ce chapitre. Cependant, ce qu’Erilys ne savait pas, c’était la volonté de l’Archipel de prendre l’ascendant sur ses voisins du Nord. À une heure où les Malédictions sévissaient, l’union des peuples apparaissaient comme une évidence à ses yeux. Il n’était pas improbable que la toute puissante Abyre, qui jusqu’ici avait été épargnée par les maux venus de l’Ouest, apprenne bientôt à ses dépens l’importance d’avoir des alliés. Nirfäel poursuivit. – Et puis, lors de l’un de mes rapports, j’ai appris que j’étais embarqué dans quelque chose de plus gros : Un vol de document à l’inquisition, afin de mettre à mal les agissements pervers de leur hiérarchie. Je n’ai pas participé au vol. Mais ça s’est mal passé. Affreusement mal passé. Les agents ont récupéré les documents, mais il y a eu un problème. L’un d’entre eux s’est fait attrapé et a été soumis à la question. Au vu de ce que nous a dit ton ami Thymar, ça a porté ses fruits. – Faïlhan ? Il hocha lentement la tête en signe d'acquiescement. – Chacun d’entre nous est en train de se faire traquer à l’heure actuelle. En toute discrétion manifestement. L’inquisition veut récupérer ses documents. Je les comprends à vrai dire. Il y a des noms là-dessus, Erilys. Et des choses horribles. Des prix sur des noms, des listes de personnes disparues avec l’inventaire des tortures qu’on leur promulgue, des organes qu’on leur prélève pour apparemment faire quelque chose avec. Je crois qu’ils sont de mèche avec un « culte des noyadés » ou quelque chose de ce genre (Il prit la main d’Erilys tenant le petit parchemin dans les siennes). Du reste, je n’ai pas envie d’en savoir plus. Mais il faut que je quitte cette ville le plus vite possible et que je ramène ces documents à qui de droit. Que je m’en débarrasse et en vitesse. À la mention du culte, le visage de la demi-elfe s'assombrit encore. – Le culte des Noyés ? dit-elle en reculant pour se réinstaller à côté de de lui. C’est très grave, Nirfäel… Elle avisa son air interrogatif et poursuivit. – Personne ne peut vous en vouloir de ne pas connaître l’existence du Culte. La ville censure son existence depuis des lustres, l’a privé de sa crédibilité au fil des ans pour ne le réduire qu’à l’état de légende et de rumeur. On pourrait dire qu’ils ont en quelque sorte condamné cette branche de la religion locale à une damnatio memoriae, bien qu'elle n'ait jamais vraiment disparu. Il ne subsiste donc aucun ouvrage qui traite le sujet dans les bibliothèques ordinaires. Moi, je dispose d’un laisser-passer pour les sections hors d’accès au public de la Grande Bibliothèque – j’ai des amis documentalistes là-bas qui m’en ont procurée un. Un jour où je me promenais à travers les rayons de la bibliothèque, je me suis perdue dans les sous-sols des archives. Ne me demandez pas comment. J’y ai trouvé là des ouvrages concernant le culte des Noyés, dont j’avais reçu quelques échos auparavant. Je cultive une certaine fascination pour les mystères, vous savez ! Cela doit venir de mon goût pour les romans noirs. (Erilys secoua la tête comme pour s’empêcher de se laisser immerger dans des digressions et rester dans le vif du sujet.) Vous savez sans doute que les elfes des mers vénèrent depuis la naissance de leur peuple des dieux qu’ils appellent les Abyssaux. C’est un populeux panthéon, si j’ose dire : il compte plusieurs dizaines de déités parmi lesquelles se trouvent des divinités principales dont vous avez nécessairement entendu prononcer le nom, puisque nombre de prestigieux bâtiments d’Abyre leur sont dédiés – la Chambre de Ningal, par exemple, ou La Grande Bibliothèque qu’on appelle aussi la bibliothèque d’Anubityan. En fait, il y a longtemps, il en existait encore bien d’autres. D’autres Abyssaux qui, d’après ce que j’ai pu lire, représentaient ce qu’il y avait de plus insondable dans l’Abysse. La synthèse des différentes versions du mythe indique que ces dieux-là auraient trahi les autres et auraient été condamnés à être “dévorés par l’océan” – entendez par là noyés – par Abiumumat, le dieu qui incarne la Justice et qui fait l’emblème d’Abyre. C’est de là qu’a éclos un schisme au sein de la religion abyssale : certains elfes ne sont pas d’accord avec ces mythes. Ils doutent de la véracité de ce qui a été interprété ou écrit à ce sujet. Certains doutent même que ce procès divin ait eu lieu. Tu l’auras compris, ces elfes-là sont les membres du culte des Noyés. Ils vénèrent des dieux supposément morts et dénient leur déchéance en les considérant comme membres actifs du panthéon à part entière, ce qui est en contradiction avec l’enseignement le plus sacré de Dusumuk, qui n'est rien de moins que le dieu de la mort, et qui commande d’accepter celle-ci afin d’accomplir la vie. Vouer un culte à des dieux morts, c’est l’insulter autant que de manquer de respect au choix d’Abiumumat. Je n’ai pas lu la fin du livre parce que je redoutais qu’on me surprenne dans sa consultation, dans des archives où je n’étais pas supposée être. Mais j’ai appris ceci : les membres du culte usent de magies interdites qui s’apparentent à ce qu’il y a de plus... éthiquement discutable dans la nécromancie. Savoir que les dossiers dont tu me parles mentionnent notamment des trafics d’organes avec ces gens-là, cela ne me rassure pas. Il se passe des choses sinistres à Abyre... (elle serra les lèvres et pencha la tête en l’appelant du regard.) Où avez-vous caché les documents ?
Elle attendit qu’il reprenne la parole et considéra sa réponse en silence.
Ses sourcils traçaient à présent deux accents au dessus de ses yeux clairs. Son poing se serra autour du morceau de parchemin. Elle se releva aussi soudainement que prestement et, d’un pas décidé, elle se dirigea vers le bord de la falaise. Le vent avait tourné. Il tricotaient des mailles de nuages qui filaient à grande vitesse au dessus de la cité des elfes des mers, faisant cligner l’oeil éclatant du soleil. La demi-elfe contempla un instant le paysage qu’offrait cette vue. Puis elle déchira calmement le message écrit à l’encre de sang. Elle répéta son geste jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que des confettis qui se dispersèrent en virevoltant comme des moucherons. Quand Erilys retourna auprès de son ami, la brise les avaient déjà emportés très loin vers la mer. La demi-elfe tendit la main pour aider Nirfäel à se relever. Arrivé à sa hauteur, elle agrippa fermement son poignet et, en plantant dans ses yeux un regard qui portait assez de force et de détermination pour deux, dit : – Nous trouverons une solution. Une solution à quoi exactement, elle l’ignorait. Mais elle avait prononcé ces mots avec tellement d’assurance qu’elle y crut presque elle-même. Lorsque les deux compagnons se remirent en marche, les lucioles dansaient encore autour de la tombe de Danalhéa.
* * * Ils avaient décidé de rentrer chez Erilys afin d’étudier plus sérieusement de ce qu’ils feraient de ces documents et de la façon dont ils procéderaient afin de faire évacuer Nirfäel de la cité par la mer comme il l’avait initialement prévu, sans éveiller de soupçon ni sur l’identité de l’un, ni sur la complicité de l’autre. Tandis qu’ils traversaient pour la seconde fois la tonnelle sauvage qui surplombait Abyre, Erilys songeait, les poings serrés. Une part d’elle craignait à présent de rentrer en ville. Elle redoutait de trouver un cortège d’inquisiteurs sur son pallier, attendant poliment qu’elle leur livre le coupable sur un plateau. Ceci dit, même si l’agent qu’ils avaient capturé avait donné le nom permettant aux autorités d’Abyre de verrouiller leur cible, encore fallait-il que celles-ci parviennent à la retrouver. En un sens, l’intervention de Thymar s’avérait providentielle : personne, pas même les autres agents de la traquée confrérie n’aurait pu indiquer que Nirfäel se trouvait dans la maison d’une Citoyenne Exemplaire de la cité. De plus, même si les Inquisiteurs savaient désormais qui ils cherchaient, il était impossible que toute la garde fût mise au courant en aussi peu de temps après les aveux de Faïlhan. Cette raison ne les dispensa pas de se montrer prudent en évitant de se pavaner devant les soldats. Ils regagnèrent la maison d’Erilys en semant des regards inquiets partout autour d’eux.
La porte se ferma, ne se laissant franchir ni par le chaos qui régnait à l’extérieur – le bébé de la voisine qui habitaient la rue d’à côté hurlait encore à pleins poumons – ni par la curiosité des enfants qui avaient toujours des yeux pour ce qui ne les regardaient pas. Certes, il est bon d’avoir une porte sévère et impénétrable pour garder son entrée.
Erilys invita Nirfäel à prendre ses aises tandis qu’elle se dirigeait vers la terrasse pour y récupérer son linge sec. Surmontée d’une belle pile de dessous blancs et d’un drap qui laissait à peine dépasser sa tête, la demi-elfe se rendit dans une petite pièce à l’étage qui faisait office de lingerie et posa le tout dans une grande corbeille. Lorsqu’elle se retourna pour regagner les escaliers, ses yeux se posèrent sur la petite garde-robe où était entreposée la précieuse surprise qu’elle avait secrètement promise au barde en récompense de ses efforts pour regagner sa confiance. La colère qui l’animait quelques heures plus tôt lui paraissait futile et bien peu légitime, maintenant qu’ils avaient des sujets bien plus préoccupant à traiter. Elle fut soudainement prise de remords en repensant aux mots qu’elle avait eus à son égard. Nirfäel était bien des choses, peut-être même un empoté, mais il n’était assurément pas un couard à ses yeux. Erilys se sentait bien égoïste. Elle n’avait jamais songé un seul instant qu’il traversait lui-même une période difficile et que durant tout ce temps, il avait fait attention à la tenir le plus éloignée possible de ses mortelles intrigues – et donc de lui. La part d’oubli ne valait pas la peine d’être accusée comme elle l’avait fait. Elle ouvrit les battants de la petite penderie.
Le son de ses pas descendant les marches de bois se fit moins pressé qu’un peu plus tôt. Erilys pénétra dans la pièce de vie où elle vit d’abord personne. Elle retrouva son invité quelques pas plus loin, tout debout à proximité du foyer. Il était plongé dans l’examen d’un objet quelconque, peut-être un livre ou une décoration qui traînait là. La demi-elfe toussota pour annoncer sa présence et attendit que Nirfäel se détourne de sa découverte pour lui adresser ces mots :
– Je voulais vous en faire la surprise pour le jour vous reviendrez me voir. J’aurais aimé que cela se fasse dans des circonstance plus… réjouissantes. Je suppose que ça n'a plus beaucoup de sens de vous le rendre maintenant, dit-elle en haussant faiblement les épaules, le regard tombant sur le côté. Vous le reconnaissez ? Je l’ai fait parfaire chez un des plus grands couturier d’Abyre – celui-là même qui m’a confectionné la robe que je portais pour les célébrations d’hiver. Il a ravivé la teinture, raccommodé les poches et remplacé les boutons. Il faut dire que ces voleurs l’avaient mis dans un piteux état… Basil a probablement ajouté quelques fantaisies et soustrait d’autres, mais je vous garantis qu’on peut faire confiance à son génie. C’est un homme brillant vous savez ! Il a réussi à deviner jusqu’à la coupe de votre barbe rien qu’en regardant votre habit. (Elle soupira finalement, reprenant un air plus posé.) Mais je parle sûrement un peu trop… Tenez, j’espère qu’il vous plaît mieux comme ça. Je me souviens que vous y teniez beaucoup, à ce manteau, prononça-t-elle avec sourire à la fois triste et tendre, oui, peut-être bien un sourire teinté de nostalgie.
* * * C’était la fin de l’après-midi. Drapeaux, fanions, cloches et carillons claquaient et tintaient sans relâche depuis plusieurs heures. Les marins ont toujours fait d’excellents météorologues : Ils avaient prédit que les vents seraient changeants aujourd’hui, ce qui ne rendait pas la navigation facile. Mais qu’est-ce qu’il pouvait bien en avoir à faire, de la navigation, lui ? Rien. Ou peut-être que si, en fin de compte. Il se demandait si Nirfäel était parvenu à trouver une embarcation comme il l’avait planifié pour partir en Aurvangar. Il n’aurait peut-être pas dû le traîner jusque dans l’allée des grèbes.
Thymar était perplexe. Cela ne le dérangeait pas tant que ça d’habitude, d’être perplexe, mais cela finissait tout de même par l’agacer, surtout lorsque cet état d’esprit excédait les trois heures et demi. Le moins qu’on puisse dire, c’était que demi-elfe lui avait laissé de sacrées impressions. Erilys avait raison sur un point : cet homme avait constamment l’air suspect. Cependant, ne pas savoir si son intuition était juste lui laissait un profond sentiment d’insatisfaction, ce qu’il s’appliquait présentement à combler avec la collaboration d’une immense chope de bière au Chaudron millésimé.
Les dés s’entrechoquaient dans un tac-tac familier sur le bois flotté de la table branlante. Thymar n’aimait les jeux de hasard non plus. Il préférait les jeux de logique. Mais puisqu’il était avec les gars de la caserne et que ces derniers semblaient apprécier sa compagnie, soit. – Quatre. Ah, flûte. Iephyr ne prononçait jamais de gros mots et ne jurait que par sa mère, ce qui lui avait attiré les railleries de nombre de collègues. Celle-ci était alors personnellement venue leur botter le train un par un en bonne et due forme et depuis, les coupables se relayaient pour aller lui chercher son pain chez le boulanger. En plus d’avoir une bouille d’ange, Iephyr en avait le caractère. Gentil, généreux et humble. Tout le contraire de sa soeur aînée. – Les recherches s’intensifient. Ils viennent de faire poster des gardes à toutes les entrées d’Abyre. Personne ne sort ni ne rentre sans être fouillé. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi, je pressens comme une sorte de blocus. – Pas impossible, grommela l’insipide Lavhale. J’ai aussi entendu dire que les ports seront “contrôlés” dès ce soir. Je sais pas trop ce que ça veut dire, mais la garde a l’air de se mettre pleinement au service des Inquisiteurs. Onze ! – Ça veut dire qu’on devra faire en sorte de savoir tout ce qui rentre et sort des ports. Grosse paperasse en vue… Je hais les recensements, soupira Iarenlei. Dix ! (Il jeta ses dés.) – J’aimerais rester en dehors ça, reprit Iephyr avec un léger froncement de sourcils. J’étais plutôt satisfait de ma routine, jusqu’ici. – Tu la conserveras peut-être, Iephyr ni-Tän, mais je peux t’assurer que d’ici demain, peut-être même d’ici quelques heures, la ville connaîtra un grand chambardement, si j’ose dire. Thymar jeta à peine un regard las par dessus son épaule. Il ne trahit pas davantage son immobilité minérale pour saluer l’elfe qui venait d’entrer dans la taverne, escortée par trois oubliables compagnons. Elle semblait jubiler de sa propre phrase. C’était une femme de grande taille, élancée et qui avait beaucoup d’allure. Ses yeux brillaient comme des rubis et ses cheveux bruns coiffés à la garçonne étaient plein de tiges coupées dont subsistaient quelques roses trémières noires. Sous son chic habit en lin vert de chrome, on aurait pas cru que cette jolie dame au petit nez retroussé et au regard plein d’étincelles était en réalité valet de bourreau. – Nerienyphe në-Tiän ! Tu es très en avance ! – Oui, mon travail est terminé pour aujourd’hui. Lavhale abandonna la morne partie de dés et s’accouda à la table, contemplant avec un intérêt renouvelé la femme qui se joignait à eux. – Alors, qu’est-ce que ça donne ? Il a parlé ? – Ça ! dit-elle avec un léger sourire en coin. Nerienyphe s’installa à côté de Thymar. De toute les personnes qui se trouvaient réunies autour de cette table, il était celui qui la détestait le plus. Elle le savait pertinemment et cela l’amusait. Pour toute réaction, (ou absence de réaction) le garde se conserva dans l’état qu’il tenait depuis maintenant plusieurs minutes, plus inerte qu’un fossile. Cette jeune femme cultivait un inquiétant goût du sang. Il ne paraissait exister aucune limite à son orgueil et si sa cervelle valait son pesant d’intelligence, son cœur ne rivalisait pas en taille avec une guigne. – Mes amis, j’ai le plaisir de vous annoncer – un peu à l’avance – que la séance de tout à l’heure nous a permis d’obtenir des informations aussi simples que précieuses qui vont grandement faciliter nos recherches. Nous avons des noms. Thymar sentit son intuition s’agiter furieusement à l’intérieur de lui. Ça grognait comme un fauve en cage. Il se mit à pianoter le bord de la table du bout de l’index. – Tu as la liste ? – Elle sera communiquée dans les heures qui viennent, répondit-elle en sirotant tranquillement dans le verre de Thymar. Lavhale se dandina sur son séant avec un air impatient. D’autres l’imitèrent en se penchant en avant, comme s’il craignait que le moindre de ses mots n’échappe ne serait-ce qu’à l’une de leurs deux oreilles. L’elfe de mer promena un regard satisfait sur l’assemblée suspendue à ses lèvres. Seul Thymar s’obstinait à garder les yeux fixés sur l’écume qui se dissolvait au fond de sa chope au rythme des minutes, appuyé sur ses bras croisés. – Je ne sais pas… Ce n’est pas à moi de vous le dire… Je ne suis pas un personnage officiel, après tout. À présent, il avait l'impression que ses tripes le démangeaient : quelques mots de Nerienyphe et sa perplexité serait dissipée. Il n'y avait qu'un pas à faire. Lentement, Thymar redressa son grand corps musculeux et, malgré toute la répugnance que lui inspirait cette apprentie tortionnaire, il tourna son visage vers elle. Sa voix gronda comme du gros gravier : – Un nom. Le plus important. Une étincelle d’intérêt parut embraser le regard de l’elfe aux trémières noires. Elle grigna un sourire qui dévoila un peloton de petite dents en porcelaine. – Très bien. – Alors ? s’impatienta Thymar. – Nirfäel.
Dernière édition par Erilys le Mar 17 Nov 2020 - 2:19, édité 2 fois |
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